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Affaire Carlos Ghosn : les réseaux libanais affichent leur solidarité au patron déchu

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Au Liban, les amis de Carlos Ghosn, quatre fois mis en examen au Japon, affichent leur solidarité à l’ex-patron de l’industrie automobile, à travers les nombreux réseaux qu’il a bâtis sur place.

C’est dans le quartier cossu d’Achrafieh, à Beyrouth, que ­Carlos Ghosn a inauguré, il y a juste un an, son pied-à-terre libanais. Une demeure rénovée à plusieurs millions de dollars, à l’architecture typique, avec ses arcades, sa pierre rose et ses volets bleus. Le magnat de l’automobile envisageait d’y passer une partie de sa retraite. Quelques jours avant son arrestation, des commerçants l’avaient aperçu au bras de son épouse, Carole. “Depuis quelque temps, il venait de plus en plus souvent”, témoigne Choucri Sader, ancien président du Conseil d’État. “Il sentait qu’il pouvait décompresser. Il aimait la chaleur humaine, la convivialité qui existe ici”, ajoute ce compagnon de bridge du patron déchu.

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Symbole du génie entrepreneurial de la diaspora libanaise, Carlos Ghosn est adulé au pays du Cèdre. Un timbre a été imprimé en 2017 à son effigie. Son incarcération en novembre dernier a suscité une levée de boucliers, y compris au sein de la classe politique. “Le soleil du Japon ne brûlera pas le phénix libanais”, réagit alors le ministre de l’Intérieur. Dans les rues de ­Beyrouth, des portraits de l’ex-patron de Renault sont placardés un peu partout, en signe de solidarité, avec la mention “We are all Carlos Ghosn”.

Adolescent, Ghosn est passé par la fabrique à élites du Liban

Après des années de labeur et d’absence passées à se hisser au sommet de l’industrie automobile mondiale, l’architecte de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a renoué, ces dernières années, avec le pays de ses origines : celui de son grand-père Bechara, un maronite émigré en Amérique du Sud à l’âge de 13 ans. Né à Porto Velho, au Brésil, Carlos Ghosn a 6 ans lorsqu’il s’installe avec sa mère au Liban. Il y passe le reste de son enfance et toute son adolescence.

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Il fréquente Notre-Dame de Jamhour, le prestigieux collège jésuite du pays. Perchée sur les hauteurs de Beyrouth, entourée d’une forêt de pins, cette fabrique à élites compte à son palmarès de nombreuses personnalités telles que l’académicien Amin Maalouf. La compétition y est rude. Mais le jeune homme fait partie des cracks, en maths et en sciences surtout.

Il m’a dit : Je ne suis pas content, j’ai envie de rentrer continuer mes études à Beyrouth. Je l’ai poussé à ne pas lâcher et lui ai répondu : vas-y Carlos, fonce!

Après les cours, les élèves sont ­gardés jusqu’au soir pour les études surveillées. “Quand on avait terminé nos devoirs, on faisait tous les deux des dessins de voitures”, se souvient Nadim Nader, son voisin de pupitre. A 17 ans, bac en poche, Ghosn s’envole pour la France, où il est admis en classe préparatoire. Il lui arrive d’éprouver le mal du pays.

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En 1971, il se confie à Michel Chkeiban, un ancien camarade de scoutisme resté au Liban et devenu ingénieur. “Il m’a dit : Je ne suis pas content, j’ai envie de rentrer continuer mes études à Beyrouth. Je l’ai poussé à ne pas lâcher et lui ai répondu : vas-y Carlos, fonce!” Michelin puis Renault après Polytechnique : le jeune ambitieux s’accroche, gravit les échelons. “Pendant une période, on le voyait peu au Liban, il était occupé à construire son avenir”, se rappelle Choucri Sader.

La presse japonaise évoque une quarantaine de sociétés-écrans à Beyrouth

Alors au pic de sa gloire, il entame une série d’investissements au pays du Cèdre, dont l’acquisition de sa demeure ­beyrouthine, aujourd’hui dans l’œil des enquêteurs. Selon le quotidien japonais Asahi Shimbun, le parquet de Tokyo considère le Liban comme “un bastion du détournement présumé par Ghosn des fonds de Nissan pour son usage personnel”. Le journal affirme que Phoinos Investments, qui détient sa maison beyrouthine achetée 9,5 millions de dollars, serait une société-écran.

Il évoque en tout une quarantaine de sociétés-­écrans enregistrées à Beyrouth et connectées avec­ ­l’ancien patron de Renault. Comme la firme Good Faith Investments (GFI), par laquelle auraient transité 15,3 millions de dollars en provenance d’une filiale de ­Nissan établie aux Émirats arabes unis.

Son ami de collège y voit “des histoires” destinées “à détruire” un homme qui avait renforcé ses liens avec son pays d’origine.

A l’origine d’un comité de soutien au ressortissant libanais sur Facebook, Nadim Nader, son ami de collège, y voit avant tout “des histoires” destinées “à détruire” un homme qui avait renforcé ses liens avec son pays d’origine. “La plupart des Libanais qui réussissent à l’étranger coupent malheureusement les ponts avec le pays, lui non”, constate Fouad Zmokhol, président du patronat libanais.

En 2008, il cofonde un domaine viticole, Ixsir (“élixir”, en arabe), d’une superficie de 66 hectares, qui s’étend sur des collines ensoleillées surplombant la Méditerranée. “Il est très fier d’Ixsir, c’est son bébé, confie Fouad Zmokhol. C’est un investissement qui le rattache à la terre.”

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Le nom de Carlos Ghosn circulait pour la campagne présidentielle

Lorsque son jet se pose sur le sol libanais, le patron à l’emploi du temps millimétré fonce rejoindre son groupe de bridge, une de ses activités favorites à Beyrouth, qu’il pratique entouré de joueurs de haut niveau. Dès l’annonce de son arrivée, Choucri Sader, qui a présidé la fédération nationale de bridge, lui organise un duplicate à deux tables (un tournoi à huit). Michel Chkeiban, plusieurs fois champion du Liban, est aussi de la partie. “Il a un potentiel extraordinaire qu’il n’avait pas vraiment le temps de faire fructifier”, assure ce dernier.

A chaque fois, l’irruption du géant de l’automobile dans cette atmosphère paisible est un petit événement. Des dames âgées se pressent pour le saluer, Ghosn se prête au jeu avec bienveillance. “Il interrompait avec plaisir la partie, témoigne Choucri Sader. Il n’a jamais refusé une photo ou de répondre à une sollicitation”.

Ghosn détient également 4,6% du capital de la banque Saradar.

Ghosn détient également 4,6% du capital de la banque Saradar et est actionnaire dans un projet de construction de chalets de luxe adossés à l’illustre réserve des Cèdres. L’ex-patron de Renault a par ailleurs maintenu des liens forts avec Notre-Dame de Jamhour, finançant des bourses scolaires et universitaires pour les élèves les plus méritants. Au moment de son arrestation, une pétition a été lancée par les anciens de l’école appelant à sa libération. Il ­siégeait enfin au conseil stratégique de l’université Saint-­Joseph, autre bastion jésuite du pays, où un ­espace à son nom avait été inauguré il y a quelques années.

On lui a même prêté un avenir ­politique. Son nom a circulé parmi les candidats potentiels à la présidence de la République ces dix dernières années. Dans un pays empêtré dans des crises institutionnelles à répétition, le self-made-man de Renault faisait figure d’homme providentiel. Mais le copain de bridge Choucri Sader est catégorique : “Il n’a jamais pris ça au sérieux, ça ne l’intéressait pas.”

Avec Le Journal du Dimanche