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La première interview de Carlos Ghosn à un média étranger depuis son incarcération : « Je suis fatigué de tout ça »

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Pour la première fois, Carlos Ghosn a répondu, ce jeudi, depuis sa prison de Kosuge, aux questions de deux journalistes non-japonais. Le correspondant au Japon du journal Les Echos et une journaliste de l’AFP ont pu l’interroger, en anglais, en présence de deux gardiens, pendant quinze minutes à l’occasion d’un parloir exceptionnel.

La première interview de Carlos Ghosn à un média étranger depuis son incarcération : « Je suis fatigué de tout ça »
Carlos Ghosn

Après dix semaines en détention, comment allez-vous ?

Je suis concentré. Je veux me battre pour restaurer ma réputation et me défendre contre de fausses accusations.  On me refuse la libération sous caution. Ca n’arriverait dans aucune autre démocratie du monde. Face à moi, il y a une armée. Chez Nissan, il y a plusieurs centaines de personnes dédiées à l’affaire. Au bureau du procureur, ils sont 70 à travailler sur le cas.

Moi, je suis  en prison depuis 70 jours sans avoir accès à un téléphone ou à un ordinateur. Comment pourrais-je me défendre ? Il ne faut pas sous-estimer les conditions dans lesquelles je me trouve !

Qu’est-ce qui est le plus dur ?

Quand je dors la nuit, la lampe est toujours allumée. Je n’ai même pas de montre. Pas de notion du temps. J’ai seulement 30 minutes par jour pour sortir sur le toit. L’air frais me manque tant. Oui je suis fort, mais je suis fatigué de tout ça.

Le pire, c’est que je ne peux pas parler à ma famille. Depuis le 19 novembre, je n’ai pas pu appeler ma femme Carole et mes enfants. Ma fille aînée vient de fêter son anniversaire le 29 janvier et je n’ai pas pu le lui souhaiter. C’est la première fois que je rate cette occasion. C’est très dur. Pourquoi est-ce que l’on me punit avant d’être déclaré coupable ? J’ai clairement un énorme désavantage.

Avez-vous le sentiment d’être traité plus durement que des dirigeants japonais impliqués dans d’autres affaires ?

Je ne peux parler des autres affaires qui se passent au Japon. Ce que je sais, c’est que, depuis mon arrestation le 19 novembre, je me retrouve dans des conditions très sévères, face à une armée de gens qui ne cessent de me jeter des horreurs à la tête. Il n’y a pas que les allégations du procureur, mais aussi celles de Nissan. Ils sortent énormément de faits de leur contexte. C’est une distorsion de la réalité pour détruire ma réputation.

Chez Nissan, les gens qui sont au coeur des accusations sont aussi ceux qui font l’enquête. Ce sont des personnes qui étaient très profondément impliquées dans les affaires légales de Nissan. C’est tout de même très surprenant. Alors que moi, on me nie toute opportunité de bien me défendre. Je parle d’équité.

Vous parlez de qui exactement, chez Nissan ?

Il y a beaucoup de gens dont le rôle est très étrange et discutable. J’aime le Japon. J’aime Nissan. Je n’ai rien contre le groupe. J’ai passé tant d’années à le faire renaître, à le rebâtir et à en faire une entreprise puissante.

Vous affirmez que vous êtes tombé dans un piège. Mais pour quelles raisons ?

Est-ce un complot, un piège ? Il n’y a aucun doute là-dessus. C’est une affaire de trahison.

Et il y a plusieurs raisons pour cela. Il y avait beaucoup d’opposition et d’anxiété sur le projet d’intégrer les trois entreprises ensemble (Renault, Nissan et Mitsubishi, NDLR).

Vous aviez parlé de ce projet d’intégration à Hiroto Saikawa en septembre dernier ?

Oui, il y a eu une rencontre sur le sujet en septembre, mais les discussions ont commencé plus tôt. Dès la fin de 2017 et le début de 2018. J’avais dit à  Hiroto Saikawa que si je décidais de faire un autre mandat à la tête de l’Alliance, nous allions devoir travailler beaucoup plus sur l’intégration. Nous en avons beaucoup parlé au début de l’année dernière, puis les discussions ont ralenti entre juillet et septembre, avant de reprendre.

L’objectif était clair, mais il y avait des résistances dès le départ. Mais quelles sont les autres options pour garantir la stabilité de l’Alliance ?

Quel était exactement votre scénario ?

Il s’agissait de créer un holding qui aurait contrôlé les trois entités et possédé la totalité des actions des groupes. Et cela, en respectant l’autonomie de chacun. Mais ce système devait être basé sur les performances solides de chaque entreprise.

Et cela posait problème ?

La performance de Nissan a baissé durant les deux dernières années. Si vous regardez les résultats et les forces de Nissan, Mitsubishi et Renault, vous voyez bien qu’il y a un problème. Je ne m’attendais pas à ce qui s’est passé, mais tout cela a conduit à la trahison, au complot.

Mais aviez-vous prévu de limoger Hiroto Saikawa ?

Ce n’est pas comme ça que se posait la question, en termes de qui ou de quand. Mais quand la performance d’une entreprise baisse, aucun PDG n’est immunisé contre un limogeage. Personne ne peut y échapper. C’est la règle dans toute entreprise. Il n’y a aucune exception.

La libération sous caution vous a été refusée à deux reprises. Qu’êtes-vous prêt à faire maintenant pour l’obtenir ?

J’ai fait tout ce que je pouvais pour montrer que je n’allais pas m’enfuir et pour les rassurer sur le fait que je ne détruirai aucune preuve. Elles sont déjà toutes entre les mains de Nissan.

On vous soupçonne d’avoir minoré certains revenus ?

On m’accuse de ne pas avoir déclaré des revenus que je n’ai jamais reçus ! J’ai déclaré le moindre yen que j’ai reçu.

Et sur les swaps de devises ou le rôle d’al-Juffali ?

Nissan n’a aucunement été floué par ces contrats de swaps ou concernant les paiements faits à al-Juffali. Tout le monde sait qu’il nous a beaucoup aidés dans la région et en Arabie saoudite à l’époque. Oser dire aujourd’hui qu’il n’a rien fait, c’est hallucinant. D’ailleurs, les paiements qui lui ont été faits ont été signés par quatre cadres de Nissan.

Pourquoi avez-vous démissionné de Renault si vous êtes innocent ?

On ne pouvait pas maintenir Renault dans une situation où la gouvernance était temporaire. Quand j’ai appris que ma caution était de nouveau refusée, j’ai décidé de démissionner. Mais j’aurais ardemment souhaité avoir l’occasion de m’expliquer devant le conseil d’administration de Renault.

Je suis si fier d’avoir  conduit cette entreprise de 2005 à 2018 et de l’avoir aidée à se transformer en un groupe si fort, en termes de profitabilité, de croissance, de qualité des produits et de technologies. C’est ça que je veux dire. Les résultats financiers de 2018 vont d’ailleurs être excellents.

Avec LesEchos