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Littérature : la lauréate du prix Goncourt des lycéens connue

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C’est en visioconférence que le nom du lauréat a été annoncé par la présidente du jury national composé de treize lycéens élus lors des délibérations régionales du très convoité prix : « Le prix Goncourt des lycéens a été attribué à Djaïli Amadou Amal pour Les Impatientes ». Le prix est coorganisé avec la Fnac et le Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports. Djaïli Amadou Amal habite à Douala, au Cameroun, mais, depuis sa sélection au prix Goncourt, elle brille avec sa forte personnalité, son esprit littéraire et féministe aussi sur les plateaux télé et radio en France.


La « tradition » du mariage forcé et de la polygamie

Sur les 250 pages des Impatientes, un univers multiple, complexe et plein de contradictions apparaît pour nous faire comprendre les méandres de cette « tradition » du mariage forcé et de la polygamie. Avec des phrases concises employant des mots simples et une structure très rythmée, elle fait surgir les différentes couches de cette société basée sur les hommes dominant les femmes. Son récit en trois chapitres ausculte le destin de trois femmes peules musulmanes et trois différents aspects de la violence la plus pernicieuse subie par les femmes, le mariage forcé, aboutissant presque toujours à une violence physique, psychique et sociétale.


Djaïli Amadou Amal nous fait vivre ces douleurs de l’intérieur. Dans son roman, on rencontre Ramla, 17 ans, jolie et intelligente, qui se retrouve élue rivale de Safira, 35 ans, co-épouse et mère de six enfants, sans oublier la tragédie de la petite sœur de Ramla, Hindou, mariée à son cousin. Elles subissent toutes le même destin : mariage forcé, polygamie, viols et violences.

Ce n’est pas un roman autobiographique

Même si la romancière camerounaise refuse qu’on définisse son roman comme « autobiographique », elle sait de quoi elle parle. Née en 1975, dans une grande famille dans l’extrême nord du Cameroun, d’un père camerounais professeur et d’une mère égyptienne, elle était scolarisée, comme ses trois frères et sa sœur.

Selon ses dires, son père n’était pas macho, mais il n’a rien pu faire quand elle a été mariée de force, à l’âge de 17 ans, à un homme politique quinquagénaire. Cinq ans plus tard, et avec beaucoup de difficultés, elle réussit à divorcer. Une première expérience qui ne la protège pas de se marier dix ans plus tard avec un homme polygame qui s’avère être également violent n’hésitant pas à enlever ses deux filles pour la contraindre de revenir à la maison. Aujourd’hui, elle se dit heureuse de son troisième mariage, avec un écrivain.

Au début, pour construire son avenir et réaliser ses propres rêves, la seule solution qui lui reste est la littérature. Influencée par la romancière sénégalaise Mariama et l’écrivain malien Seydou Badian Kouyaté, elle se met à écrire pour coucher ses sentiments et ses pensées sur papier. Dans sa famille peule sédentarisée, elle a toujours parlé le fulfudé, la langue de l’auteur malien Amadou Hampâté , un autre parmi ses écrivains phares. Pourtant, dès ses débuts, elle a choisi d’écrire en français.

Le combat de publier ses pensées

Son premier manuscrit porte sur ses mariages « prison », mais, même après avoir investi dix ans dans ces écrits, elle n’ose pas les publier. Ce n’est qu’en 2010, après avoir fui son deuxième mari, qu’elle décide de tout miser sur son indépendance. Elle saute le pas de rendre publiques ses expériences et ses visions littéraires avec Walaande, l’art de partager un mari.

Le livre raconte la vie difficile et les attentes indescriptibles de quatre femmes mariées au même homme. Après avoir enregistrée un grand succès de librairie au Cameroun, elle est invitée au Salon du livre de Paris en 2012. Une reconnaissance internationale et le point de départ de sa carrière en tant que porte-parole littéraire des femmes dans le Sahel.

L’un des points forts des récits de Djaïli Amadou Amal consiste à ne pas oublier de dénoncer le regard complice de la société. Elle souligne aussi à quel point ces « traditions » sont ancrées dans chacun et chacune. Car ce ne sont pas uniquement les hommes qui imposent aux femmes d’être « patientes ».

Ce mantra « munyal, munyal ! » de la domination patriarcale qui impose aux femmes d’accepter leur « destin » sans se plaindre, est aussi repris par une partie des femmes. Amal rend visible aussi le cercle vicieux de la violence exercée par les femmes sur d’autres femmes. Sans l’assimilation et la reproduction du système pervers par les femmes, l’excision pratiquée par des femmes sur les filles ou la pression exercée par les mères sur leurs filles pour accepter le mariage forcé ne seraient pas possibles.


Dignité et éducation

C’est cette prise de conscience et le combat de ses héroïnes pour leur dignité et une meilleure place dans la société qu’elle souhaite promouvoir auprès de ses lectrices et lecteurs. Et depuis 2012, elle entreprend à travers son association Femmes du Sahel d’améliorer l’éducation des filles dans la région.


Après avoir remporté le Prix Orange du livre en Afrique 2019, Amal a réussi l’exploit de convaincre les jeunes jurés du prix Goncourt des lycéens. La très grande résonnance du livre en Afrique s’explique par le fait que les Peuls se retrouvent dans plus de vingt pays africains et que toutes les femmes de la région puissent s’identifier à l’histoire.

En revanche, pour la romancière camerounaise, « c’est un roman universel. Quand je parle des violences faites aux femmes, des violences conjugales, chaque femme devrait s’y reconnaître. » Pour elle-même, le plus grand succès reste d’avoir ouvert la porte pour ses deux filles. Elles poursuivent aujourd’hui leurs études universitaires. Pour cela, ce prix décerné par la jeunesse en France, signifie pour elle une véritable consécration.

source : rfi.fr