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Réforme du franc CFA : les coulisses de l’annonce du 21 décembre

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Comment Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ont préparé, dans la plus grande discrétion, la réforme surprise du franc CFA annoncée en décembre dernier.

C’est l’effervescence des grands jours au palais présidentiel d’Abidjan, en cette fin d’après-midi du 21 décembre 2019. Dans la salle des pas perdus, les délégations ivoirienne et française attendent que le tête-à-tête entre Emmanuel Macron et Alassane Ouattara (ADO) s’achève. Leur conférence de presse va commencer d’une minute à l’autre. Une table et deux chaises sont placées devant l’estrade où les deux chefs d’État s’installeront.

Romuald Wadagni et Tiémoko Meyliet Koné sont assis côte à côte. Personne ne semble s’étonner de la présence du ministre des Finances du Bénin, également président du conseil des ministres de l’Uemoa, et du gouverneur de la BCEAO lors d’un événement censé clôturer la visite d’État du président français en Côte d’Ivoire. Briefés quelques heures plus tôt par les conseillers de l’Élysée, les journalistes français présents font partie des rares personnes mises dans le secret : ADO et Macron annonceront ce soir une importante réforme du franc CFA, préparée dans la plus grande discrétion entre Paris et Abidjan. « Je suis tombé des nues », confie le ministre de l’Économie et des Finances d’un pays ouest-africain.

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Vieux sujet de discussion entre Paris et le continent, la réforme du franc CFA est revenue sur la table des négociations au début de 2017. Désigné un an plus tôt président en exercice de l’Uemoa, le chef de l’État ivoirien est alors mandaté par ses pairs pour l’amorcer. Il confie le dossier à son vice-président, Daniel Kablan Duncan, un ancien de la BCEAO. Mais c’est dans les premiers mois de l’année 2019 que les discussions s’accélèrent. « Compte tenu des débats en cours dans nos pays, nous ne pouvions pas continuer à laisser le désordre perdurer », explique un ministre.

Modalités et timing

Le 15 février, ADO rencontre Macron à Paris après avoir assisté au sommet de l’Union africaine (UA), à AddisAbeba. À l’issue de leur tête-à-tête, il s’arrête devant la presse regroupée sur le perron de l’Élysée. Là, sans qu’aucun journaliste n’évoque la question, il affirme : « J’ai entendu beaucoup de déclarations sur le franc CFA […]. Je ne comprends pas ce faux débat. Le franc CFA est notre monnaie, c’est la monnaie de pays qui l’ont librement choisie depuis l’indépendance dans les années 1960. Elle est solide, elle est appréciée, elle est bien gérée. Nous sommes très très heureux d’avoir cette monnaie, qui est stabilisante. »

La teneur des échanges entre les deux présidents, quelques instants plus tôt, a pourtant été tout autre. L’Ivoirien, qui souhaite faire de l’Uemoa le moteur du projet de monnaie unique ouest-africaine, a expliqué à son homologue français vouloir « vraiment avancer sur ce dossier ». Il faut faire évoluer le franc CFA. Son objectif ? Y parvenir avant la fin de l’année 2019. Les négociations concrètes commencent finalement au mois d’avril. « Nous avons d’abord effectué un travail technique afin de définir le périmètre et les contours de la réforme. Cette première phase s’est achevée en octobre 2019. Il y a eu ensuite des discussions plus politiques, notamment pour décider du timing et des modalités de l’annonce », explique une source française.

Dans l’Hexagone, le conseiller Afrique de Macron, Franck Paris, le ministère de l’Économie et des Finances, la Banque de France ainsi que le Trésor sont au coeur des discussions. Les avis du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) et de certaines personnalités, comme l’économiste et ancien ministre de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques du Togo, Kako Nubukpo, ont également été sollicités. Côté ivoirien, c’est le ministre du Pétrole et ex-conseiller spécial auprès du président chargé des Affaires économiques et financières, Abdourahmane Cissé, et surtout le secrétaire général de la présidence ivoirienne, Patrick Achi, qui sont les chevilles ouvrières. Romuald Wadagni et Tiémoko Meyliet Koné jouent, eux aussi, un rôle central. Quant à Alassane Ouattara, il informe régulièrement ses pairs de l’Uemoa de l’avancée des négociations, comme lors d’un huis clos organisé en septembre à Ouagadougou, en marge du sommet de la Cedeao, ou encore le 3 décembre, à Dakar, lors du forum sur la dette organisé par le FMI.

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La France et les pays de l’Uemoa étaient-ils alors sur la même longueur d’onde ? À Paris, on assure qu’il n’y a jamais eu de divergence majeure, mais « des débats techniques sur le rythme de suppression du compte d’opération, ou la manière dont les représentants français allaient quitter les organes de gestion monétaire ». Plus sévère, un ministre ouest-africain juge, lui, que « cela n’a pas toujours été facile avec la France. Il a vraiment fallu négocier pour que Paris accepte de maintenir la parité fixe avec l’euro et la garantie de convertibilité assurée par la Banque de France ».

Et, selon nos sources, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara n’avaient pas la même vision du rôle que pouvaient jouer les pays anglophones,notamment le Ghana et le Nigeria. Le président français souhaitait qu’ils prennent part aux discussions et avait imaginé que le dialogue avec les diasporas africaines, organisé à Paris en juillet avec son homologue ghanéen Nana Akufo-Addo, pouvait s’inscrire dans ce cadre. « Ouattara n’y était pas favorable, assure un de ses proches. Il a expliqué à Emmanuel Macron que la réforme du CFA et la création d’une monnaie unique pour les pays de la Cedeao étaient deux processus différents. Il estimait également qu’impliquer la diaspora serait une perte de temps. »

« Bourde » intentionnelle ?

Le 7 novembre, sur RFI, Patrice Talon annonce que « très rapidement, les pays membres de la BCEAO ne garderont plus de réserves de change auprès du Trésor français ». Ouattara goûte peu la déclaration surprise du chef de l’État béninois et le lui fera gentiment savoir. La « bourde » est-elle intentionnelle ? L’ancien homme d’affaires, qui a participé à plusieurs réunions de travail à la Banque de France, souhaite-t-il montrer qu’il est, lui aussi, un acteur important de cette réforme ? Ou veut-il marquer son désaccord avec ADO en lui grillant la politesse ? Car, en ce début novembre, si les détails techniques de la réforme sont réglés, les négociations politiques se poursuivent. Il faut notamment décider où et quand les changements seront annoncés. Au sein de l’Uemoa et de la BCEAO, on plaide pour que cela coïncide avec l’évaluation financière des pays de la zone, qui aura lieu en mars.

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Mais, au regard de son statut de président en exercice de l’Uemoa et du rôle qu’il a joué lors des négociations, Alassane Ouattara pousse pour que la réforme soit annoncée à Abidjan. La visite d’Emmanuel Macron en Côte d’Ivoire, en décembre, est une occasion rêvée, d’autant plus que ce dernier souhaite également être associé à l’événement et faire de cette réforme le symbole de sa politique africaine. Le déplacement du président français ne pouvant pas être reporté à 2020, année électorale, le calendrier de l’Uemoa est alors précipité. Et les différents acteurs de la réforme se trouvent contraints de finaliser les derniers détails par mail quelques jours avant le début de la visite.

Le 20 décembre, quelques minutes après avoir accueilli son hôte français, Alassane Ouattara s’envole pour Abuja où a lieu un sommet des chefs d’État de la Cedeao. La question du franc CFA n’est pas à l’ordre du jour du huis clos, mais on discute en revanche de la monnaie unique ouest-africaine, qui doit théoriquement voir le jour en 2020. Les débats tournent autour du sigle de l’eco, de la création d’une Banque centrale d’Afrique de l’Ouest (BCAO) et du budget permettant de financer la mise en place de la monnaie, estimée à 6 millions de dollars. Six ou sept chefs d’État prennent la parole, réaffirmant leur attachement à l’intégration monétaire. Ouattara est l’un d’entre eux.

À la fin de son intervention, il évoque les changements en cours au sein de l’Uemoa, en prenant soin de réaffirmer que tous les pays rejoindront la monnaie commune de la Cedeao. Au même moment, une note précisant les contours de la réforme du franc CFA est distribuée aux délégations. Le Nigérian Muhammadu Buhari prend alors la parole pour demander si le compte d’opération sera bien clôturé et si les représentants français au sein des institutions monétaires vont effectivement se retirer, deux points sur lesquels il insiste depuis plusieurs mois. Oui, répond ADO, avant de demander en anglais à son homologue : « Êtes-vous d’accord avec cette proposition? » Buhari acquiescera de la main, dissimulant son mécontentement d’avoir été tenu à l’écart.

Avec Jeune Afrique