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Saison 4 de ‘La Casa de Papel’ : quand le braquage du siècle tourne au fiasco de l’année

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Forte d’un succès planétaire inattendu, la série de braquage espagnole s’était offert un prolongement artificiel à travers une troisième partie placée sous le signe de la surenchère. En portant son confinement guérilla à un niveau de tension maximal, les nouveaux épisodes gonflent leurs muscles hypertrophiés au service d’un discours d’une vacuité confondante. Il est peut-être temps de remiser les masques dans la penderie.

2017 : Réunie par un génie du crime, une équipe de braqueur pénètre la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre d’Espagne pour y imprimer 2,4 milliards d’euros sans porter atteinte à l’intégrité physique de leurs otages. Le succès de l’opération, étirée sur onze jours de confinement volontaire dans le bâtiment cerclé par les forces de l’ordre, repose sur un plan huilé à l’extrême et une répartition savante des rôles.

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2018 : Rachetée par Netflix, la série d’Álex Pina double son coup d’éclat fictionnel d’un carton planétaire. En rejouant à grande échelle les codes du récit de casse parfait (la série s’inscrit dans une généalogie qui relie L’Ultime Razzia de Kubrick aux Ocean’s 11/12/13 de Soderbergh en passant par le méconnu Mise à sac d’Alain Cavalier), La Casa de Papel s’attache autant à l’exécution d’une mécanique parfaite qu’à son inévitable dérèglement dû au facteur humain. Des personnages aussi charismatiques que cabotins affublés de noms de villes, des références à fort potentiel viral (du chant de révolte Bella Ciao aux masques de Dalí) et un fond de revanche sociale achèvent de séduire les spectateurs.

2019 : Logique financière oblige, les vacances dorées des braqueurs sont abrégées par la capture de l’un des leurs et la mise en place d’un casse encore plus ambitieux pour négocier sa libération. En faisant de la Banque d’Espagne le terrain de jeu d’un remake XXL de l’intrigue originale, la troisième partie volontariste laissait éclater au grand jour les faiblesses de la série : intrigue racoleuse, mise en scène hypertrophiée et sous-texte révolutionnaire essentiellement cosmétique.

La curiosité linguistique consistant à préférer au terme de “saison” celui de “partie” n’a rien d’anodine : la virtuosité stratégique façon jeu d’échecs humains dans lequel les braqueurs avaient toujours un coup d’avance a laissé place à une manche chaotique dont le déroulement pâtit d’une mise de départ trop élevée. Après avoir obtenu la libération de “Rio”, ses compagnons, confrontés aux machinations cyniques du colonel Tamayo et de l’inspectrice Alicia Sierra, avaient ouvert le feu sur les forces de l’ordre (et plus précisément, tiré au bazooka sur un tank).

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Dépliée après ce point de non-retour, la quatrième partie saisit l’équipe en bien mauvaise posture et concentre ses forces en vue d’un damage control à tous les niveaux. Sous le choc après l’exécution (simulée) de “Lisbonne”, le Professeur perd pied et met l’entreprise en péril. Retranchés dans le bâtiment, les autres personnages tentent de sauver “Nairobi”, grièvement blessée par un tir de sniper, tout en faisant face à des dissensions internes et en luttant contre un agent de sécurité aux airs de GI Joe surentraîné.

Obnubilée par la répétition paresseuse des motifs qui ont fait son succès, la série souffre plus que jamais d’une forme indigeste, engluant ses effets de manche dans une bande-son assourdissante. Toujours aussi envahissante, la voix off de “Tokyo” explicite les enjeux à outrance, comme si les scénaristes voulaient à tout prix éviter le hors-champ, la coupe, l’ellipse, tous ces interstices dans lequel se cultivent la tension et le mystère. Cette peur du vide trouve sa manifestation la plus embarrassante dans les flash-back censés célébrer un temps de l’insouciance aussi ennuyeux qu’un extrait de compte bancaire et offrir au personnage défunt de “Berlin” des prolongations frappées d’amnésie narrative (le psychopathe narcissique des premières parties est embrassé avec tendresse et nostalgie).

Difficile, au vu de la situation actuelle, de passer à côté du fait que La Casa de papel met en scène un confinement à grande échelle, certes choisi, mais travaillé par les mêmes ressorts physiques et psychologiques que dans le monde réel. Dehors, le danger et la mort potentielle, dedans, l’angoisse et les tensions humaines.

Si cette forme autarcique permet d’éprouver les rapports de pouvoir et d’affects qui circulent entre les personnages, elle aboutit également à une relégation du sous-texte politique vaguement révolutionnaire à l’extrême périphérie du récit : de façon concrète, la coloration populiste du braquage (au sens positif du terme) s’est réduite à un vague alignement de manifestants agitant des pancartes en combinaisons rouges, dont la seule fonction narrative est d’être instrumentalisé comme une meute de moutons par le Professeur et ses comparses. On est plus vraiment du côté du peuple…

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Critiqués pour leur traitement racoleur des personnages féminins, les scénaristes avaient infusé la partie 3 d’un féminisme volontariste de façade en multipliant les allusions à la lutte des sexes dans leurs dialogues sans prolonger leur remise en cause sur le plan de la mise en scène et de la répartition des regards. En s’emparant de la question de la virilité sous des angles problématiques (entre querelles machos autour de la paternité d’un enfant, comparaison du personnage de “Tokyo” a une voiture de luxe qu’il ne faut pas “garer n’importe où” (sic) et obsession déplacée sur l’homosexualité du personnage de “Palerme”), les nouveaux épisodes opèrent encore un pas en arrière que la prise de pouvoir au féminin, à l’intérieur de la banque comme du côté des flics, peine à conjurer.

Deux glissements, pourtant, parviennent encore à tendre cette excroissance malhabile d’enjeux plus pertinents. En poussant franchement les braqueurs du côté de la lutte armée et en les menant à violer l’intégrité physique et psychologique des otages, cette quatrième partie éprouve à la fois le soutien populaire dont ils bénéficient dans la fiction et celui que les spectateurs leur accordent. Et en évacuant la dimension politique ou pécuniaire pour sonder un coup d’éclat essentiellement motivé par l’amour – pour un compagnon, un partenaire, un ex-geôlier un enfant – et la beauté du geste, La Casa de Papel pourrait opérer un glissement inattendu vers un mélo criminel et nihiliste. Avant qu’un inévitable cinquième partie ne viennent encore rebattre les cartes, pour le meilleur ou pour le pire.

Avec Les Inrocks