Le parcours de Yao Samson Agbevoudo est pour le moins curieux. Nanti d’un BTS en commerce international, le jeune Sami s’est découvert une passion pour la bijouterie et l’orfèvrerie. Parer le corps de gens de chefs-d’œuvre et en tirer une intense satisfaction… jusqu’au jour où le bois lui fit détourner le regard.
Malgré des débuts difficiles, le jeune créateur de Sami’s Innovation s’accroche et finit par émerveiller son monde. Il s’inscrit au programme d’appui et suivi du Faiej qui lui permet de mieux s’outiller et bénéficie d’un soutien financier de l’institution.
Togo First l’a rencontré à l’occasion d’une tournée de proximité organisée par le ministère du développement à la base, à l’endroit des jeunes entrepreneurs ayant bénéficié de l’assistance technique et financière du Faiej et/ ou du Pradeb. Entretien.
Togo First : Qu’est-ce qui vous a amené à la sculpture ?
Agbevoudo Y. Samson : J’étais dans le domaine de la bijouterie au départ. Vous vous demanderez ce qui a bien pu m’amener à la sculpture, vu que les deux choses sont différentes. J’avais un grand frère sculpteur, qui, un jour, a vu mes créations en bijouterie. Il m’a dit que ce que je faisais était de l’art et que je réussirais encore plus en sculpture. Il m’a proposé un test. Nous sommes allés à l’atelier de sculpture et il m’a montré des choses. C’est partant de là que j’ai réalisé qu’il y a une méthodologie en sculpture qui s’apparentait à ce que je faisais avec les bijoux. C’est donc de là qu’est venue l’envie de sculpter. Aujourd’hui je m’y sens très bien. J’ai commencé à 22 ans. D’aucuns penseront peut-être que c’est tard mais, à partir de ce que j’ai découvert lors de cette reconversion, j’ai réalisé que vous avez beau être vieux, une fois que vous vous prenez d’intérêt pour quelque chose, vous pouvez la maîtriser rapidement.
Comment vivez-vous l’art et qu’est-ce qui vous inspire le plus souvent ? Comment l’inspiration vous vient-elle ?
Je fais tout par passion. Tout m’inspire. Il me suffit de voir quelque chose pour que mon esprit se mette en branle et que des idées me viennent. Je me suis découvert un faible pour les logos des sociétés et des institutions. Lorsque je vois un logo, j’ai envie de le reproduire avec du bois, et quand je lis le slogan d’une entreprise ou d’une institution, j’ai envie de sculpter quelque chose qui puisse le refléter et le matérialiser. J’ai produit des logos de quelques grandes entreprises que j’ai approchées et j’ai eu le plaisir de remarquer qu’elles ne s’y attendaient pas elles-mêmes. Mais les moments où je ressens le plus d’inspiration sont ces moments où je suis triste. Ces moments où je ressens de la douleur ou de la mélancolie. Beaucoup de choses me passent par la tête en ce moment et j’ai envie de les exprimer avec du bois.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté ?
Nous vivons dans une société où ce sont beaucoup plus des personnes aisées qui s’intéressent à la sculpture ou désirent acquérir des objets d’art. Parce que ces objets sont chers. Donc la principale difficulté réside dans le fait de trouver des clients à qui produire. Lorsque c’est fait, l’autre difficulté est d’aller à l’intérieur du pays, chercher et trouver le bois qu’il vous faut pour réaliser la commande et pouvoir l’acheminer. En sculpture, il vous faut investir dans votre production. Lorsque vous n’avez pas de client, c’est à vous de sculpter quelque chose et d’aller à la recherche de la cible qui pourra être intéressée par votre production. Lorsque vous avez les moyens de production, l’inspiration est encore plus facile à trouver.
Comment se déroule le processus de la naissance de l’inspiration à la finition de l’œuvre ?
Lorsque l’inspiration naît, je fais une esquisse sur un papier. C’est à base de ce dessin que je réalise l’œuvre avec du bois. Cela suppose qu’il faut être bon en dessin pour ne pas se louper une fois que vous aurez commencé la production. Il faut aussi surtout avoir une idée précise de ce que vous voulez. Ne pas faire l’à peu près pour avoir à tâtonner une fois que vous aurez commencé le travail sur le bois. J’utilise toute sorte de bois. De l’ébène, de l’acajou, du lingué, du teck.
La partie la plus importante du métier est l’inspiration. Sans elle, vous n’arriverez pas à produire. C’est pour cela que je dirige quasiment toute mon inspiration vers une cible précise. Je ne m’éparpille pas, au risque d’avoir trop d’idées en tête et de ne pas pouvoir faire le bon choix.
Les œuvres que je produis débouchent toujours forcément sur une cible précise. Soit une personnalité, une institution ou quelqu’un à qui j’ai pensé avant de commencer. Ma base de clientèle est assez restreinte pour le moment. Je produis le plus souvent pour livrer immédiatement. Je ne le fais pas pour exposer à moins de bénéficier de ressources ou d’en avoir à disposition.
Parlant de ressources, est ce que vous avez bénéficié d’un accompagnement institutionnel ?
Oui, j’ai reçu un soutien financier de la part du FAIEJ à hauteur d’un million de francs Cfa qui m’a permis de m’installer et d’ouvrir ma boîte. Il est vrai que j’ai démarré sur fonds propres mais, c’est lorsque j’ai pu bénéficier de cet accompagnement que j’ai fait le gros du travail. J’attends la deuxième tranche qui doit constituer le fonds de roulement de ma petite entreprise.
Maintenant, en plus de cet accompagnement, j’ai bénéficié d’un appui technique. J’ai suivi une formation en création d’entreprise et elle a changé beaucoup de choses dans ma perception des choses et m’a ouvert à un monde que je ne connaissais pas.
La première chose de bien que j’ai retenue, c’est la nécessité et l’avantage pour le jeune entrepreneur de se formaliser. Lorsque vous avez votre structure à vous et que vous évoluez dans un secteur d’activité où vous vendez et où vous achetez également, il est impératif de se formaliser afin d’être visible sur le marché et de pouvoir postuler à des offres. Ce sont ces choses qui font vivre l’entreprise.
Dans mon domaine, il arrive que des offres soient lancées sur le marché et relayées par exemple par la presse. Et ces offres exigent un minimum de garanties et de reconnaissance officielle. N’eût été cette formation du FAIEJ qui m’a appris beaucoup de choses, je serais resté dans le noir à me contenter du peu que j’arrivais à décrocher comme marché.
Je pensais avec le temps à monter une petite entreprise de sculpture, mais faute de moyens et de personnes ressources pour me guider et m’accompagner, je ne pensais pas que cela était réalisable. C’est avec le FAIEJ que j’ai pu concrétiser mes rêves.
J’ai à la base un BTS en commerce international. Et aujourd’hui, je fais de la sculpture. Beaucoup n’y verraient aucun rapport. Mais toutes les actions que je mène aujourd’hui sont un mix de ce que j’ai appris sur les bancs et de la formation que j’ai suivie grâce au FAIEJ.
Quelles sont vos perspectives à long terme ?
M’établir plus solidement et diversifier mes productions et donc ma base de clientèle. Je suis déjà arrivé là alors que je n’y pensais pas réellement ; alors j’ai envie d’aller plus loin. J’ai envie d’exposer, que ce soit dans des galeries ou sur de grandes scènes à l’international, mais il faudra d’abord que je réalise beaucoup de choses. Il faut de l’argent pour travailler et je fais tout pour essayer d’en avoir. Dès que c’est le cas, je pourrai laisser libre cours à tous mes rêves et à toutes mes ambitions.
Lors de la tournée consacrée aux jeunes entrepreneurs les 24, 25 et 26 juillet derniers, la ministre du développement à la base, Victoire Tomégah-Dogbé a été subjuguée devant une de vos œuvres et s’est entretenue avec vous. Que vous a-t-elle dit ?
J’ai toujours rêvé qu’une personnalité remarque ce que je fais et s’y intéresse. Donc j’ai été très ravi de voir que cela lui a plu. Elle m’a dit qu’on travaillera ensemble et que je lui réaliserai des commandes en des occasions officielles. Cela m’a touché. Pour moi, cela représente comme une consécration. Cela veut dire que je suis sur la bonne voie et cela m’encourage à aller de l’avant et à produire encore mieux.
J’en profite pour lancer un appel à tous ceux qui aiment l’art et veulent bien y investir de miser une pièce sur moi. J’aurais aimé que quelqu’un me tende la main lorsque j’ai commencé, mais je n’en ai pas eu. Il a fallu que je me batte, que je fasse parfois du tort à certaines personnes parce que je ne voyais que mon objectif. Mais maintenant que c’est en bonne voie, je ne refuserai pas d’aide. Que ce soit d’un aîné dans le domaine ou d’une tierce personne. L’art a besoin d’être encouragé.