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Akissi Delta de “Ma Famille” choque la toile : « Nos acteurs sont doués mais…»

Crédit photo : Gender links

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Actrice, réalisatrice et productrice de films, Loukou Akissi Delphine connue sous le pseudonyme d’Akissi Delta, a obtenu, le 14 décembre 2021 dernier, à Abuja au Nigéria, lors du 60eme Sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO, le prix de l’Excellence. Résultat de la qualité et la richesse de sa production cinématographique. Au cours d’une visite au groupe de presse « Le Réveil », le jeudi 13 janvier 2022, l’icône de la culture ivoirienne et Ambassadrice de l’UNESCO a dévoilé sa vision de la chose culturelle, ses attentes, mais surtout son combat pour le bien-être des femmes et son rêve de voir les trois grands leaders de la politique ivoirienne fumer le calumet de la paix.

Le 14 décembre 2021, au Nigeria, vous avez reçu le prix de l’Excellence lors du 60e Sommet de la CEDEAO en présence de plusieurs chefs d’Etat. Quel est le sentiment d’une personne comme vous dont on dit illettrée et qui se voit honorer par des présidents ?

J’avoue que cette distinction m’a énormément fait plaisir. J’ai fini de tourner « Ma famille » et je suis sur « Ma grande famille » dont 208 épisodes sont passés à l’antenne. Je me bats comme je peux et ce n’est pas facile surtout avec la maladie de certains comédiens et le décès de ma sœur, amie et collègue, Marie Louise Asseu qui m’a véritablement affectée. Je ne m’y attendais pas et ça été un véritable coup dur pour moi. Ce que beaucoup de personnes ne savent pas, c’est que j’écris mes scénarios sur mesure. Les comédiens avec qui je tourne, je les connais avant. Si je ne vous connais pas avant, je me rapproche de vous et je vous étudie, votre façon de parler, afin d’en retirer vos talents et les utiliser dans l’écriture de mon scénario. Certains pensent que ma famille n’est pas écrite et chacun pouvait venir dire ce qu’il veut. Non. C’est parce que les acteurs et actrices sont vraiment formidables. Avec la COVID, certains épisodes n’ont pu être tournés dans certains pays. Alors que j’étais assaillie par tant de soucis, voilà qu’on m’appelle pour m’honorer de ce prix qui est le résultat de la qualité de notre travail cinématographique de « Ma famille » et « Ma grande famille » qui sont des films vraiment populaires.

Vous voilà donc au summum de la culture, quel est votre secret alors que personne ne pensait vous voir briller de mille feux sur la culture ivoirienne voire africaine ?

Non, je ne dirai pas que je suis au sommet, je ne dirai pas ça du tout. Je ne fais que commencer, car je n’ai pas encore fini avec « Ma grande famille ». Quand j’aurai bouclé les 461 épisodes, en ce moment, je pourrai dire que j’ai fait quelque chose. Je ne suis qu’en mi-chemin. Pour moi, je n’ai encore rien fait. J’ai dit au Premier ministre récemment que nous avons des difficultés pour tourner nos films. Nous tournons dans les résidences et avec les mêmes décors. Mon souhait est donc que nous ayons un espace vers Bassam pour mieux tourner les films. Je demande pardon au gouvernement pour nous trouver un espace digne de ce nom pour les producteurs de films que nous sommes. La qualité de nos productions cinématographiques rejaillira sur notre pays qui compte dans le milieu du cinéma, mais aujourd’hui, certains pays comme le Sénégal, sont en avance sur nous concernant la qualité des décors et autres. Nos acteurs sont doués mais il leur faut de beaux décors dans un hangar de cinéma comme on l’appelle. Un lieu spécifique pour le cinéma où on peut changer les décors à notre guise. Nous sommes la locomotive de l’Afrique de l’Ouest en cinéma tout de même.

À vous entendre parler, on s’imagine que vous travaillez dans des conditions difficiles.

Pas dans des conditions difficiles, mais je veux dire qu’en matière de cinéma, il faut que la Côte d’Ivoire arrive à compétir et rivaliser avec les autres pays. C’est ce que j’ai essayé de dire. Des films avec de beaux décors.

Au-delà de votre statut de réalisatrice, d’actrice et productrice, vous êtes Ambassadrice de la paix de l’UNESCO. Quel est le contenu de votre cahier des charges ?

Merci, mais pour le moment, je ne suis pas encore Ambassadrice attitrée. Nous avons notre frère A’salfo qui l’est, que j’accompagne dans son travail. Nous sommes pour le moment des Ambassadrices bénévoles. En ce qui me concerne, quand j’ai un bout de temps entre deux tournages, je pars pour sensibiliser les femmes. Les femmes qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école comme moi. A savoir, les mamans qui vendent dans les marchés, celles qui balaient dans les rues, qui travaillent dans les champs, les vendeuses de vivriers. Je sensibilise ces femmes car beaucoup se disent, Akissi Delta n’est pas allée à l’école et pourtant elle a réussi, donc nous pouvons aussi réussir. Je leur dis non, ne faites pas comme moi, car c’est un coup du sort qui a fait que je ne suis pas allée à l’école. Quand je suis née, j’étais maladive et ma grand-mère m’a gardée pour me soigner. Donc, je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école. Aujourd’hui, je me suis battue grâce à ma tante qui m’a fait venir en ville et qui m’a donné une bonne éducation. Et monsieur Léonard Groguet a pris la relève. Il m’a également éduquée à sa manière jusqu’à ce que je devienne ce que je suis aujourd’hui. Mais, j’ai encore des difficultés à pouvoir m’exprimer en français et ma société ne fonctionne pas comme il se doit parce que je ne sais ni lire ni écrire. Et quand tu prends des gens pour travailler pour toi, tu ne seras jamais satisfait. Donc, je leur dis de ne pas prendre exemple sur moi, car je souffre du manque de ma non scolarisation. J’en souffre énormément.

Je travaille dans un environnement où il y a beaucoup d’intellectuels qui ont fait des études de cinéma et autres. Certains ont des complexes vis-à-vis de moi, car se sentant supérieurs intellectuellement. Ceux-ci ne supportent pas qu’une analphabète soit leur patronne. Ce sont des situations difficiles. Donc, je dis aux femmes, si tu ne sais pas lire et écrire, tu n’as pas de vie et tu n’as pas d’intimité. C’est insupportable. Aujourd’hui, la plupart des enfants dans la rue sont des enfants dont les mamans sont analphabètes, divorcées. Donc, je voyage pour sensibiliser ces personnes, car si la femme réussit, tout va pour le meilleur. Mon travail consiste à les sensibiliser à apprendre à lire et à écrire et éviter de faire comme moi. Si j’étais allée à l’école, je ne me verrai pas dans l’obligation de prendre un transcripteur pour écrire mes scénarios. Je suis donc à la merci des transcripteurs parce que je ne suis pas allée à l’école. Je ne veux pas que ce que je vis arrive à d’autres femmes. UNESCO me seconde pour que je fasse la sensibilisation des femmes et c’est ce que je fais.

Est-ce que les femmes sont réceptives à vos messages de sensibilisation ?

Bien sûr, bien sûr, elles le sont doublement. Quand j’arrive dans les marchés, elles sont contentes de me voir. Elles me posent beaucoup de questions sur mon travail et sur les films. Elles posent avec moi pour des photos et après tout cela, je leur explique la nécessité d’inscrire les enfants à l’école et l’importance de l’alphabétisation. Je leur raconte des anecdotes de cet homme qui me draguait et qui m’a invitée dans un restaurant. L’homme était analphabète comme moi. Il ne savait ni lire, ni écrire. Et quand on nous a déposé le carton de menu, on est resté là à se regarder. Aujourd’hui, je sais faire la saisie et je sais lire un peu. Il faut que tous les enfants soient scolarisés pour être autonomes demain. Moi, même si j’ai 80 ans, il me faut un diplôme avant de m’en aller de ce monde.

Quels sont vos rapports avec les autres producteurs?

J’entretiens de bons rapports avec tous les producteurs. Guy Kalou, c’est mon gros bébé. Je m’entends merveilleusement bien avec tout le monde. Aujourd’hui, grâce à « Ma famille », nous avons de bons acteurs et réalisateurs dans le pays. Après la fin du tournage de « Ma grande famille », je vais me retirer et me mettre à la disposition des jeunes réalisateurs qui sortent des Écoles de cinéma et qui font de grandes choses. Je serai peut-être dans les films de sensibilisation après « Ma grande famille ».

Akissi Delta est bien connue en Côte d’Ivoire. Quels sont vos rapports avec nos leaders politiques et que comptez-vous mener comme actions pour la réconciliation des trois grands ?

Merci pour votre question. Je ne me mêle pas de la politique parce que je veux travailler pour tous les Ivoiriens. « Ma famille » regroupe toutes les ethnies de Côte d’Ivoire sans distinction de partis politiques ou de religion. Moi, je suis pour la Côte d’Ivoire. Je suis avec tout le monde. Je suis à l’aise avec mon papa Bédié, mes frères Gbagbo et Alassane. Je vais incessamment aller présenter le Prix au président Alassane, au président Gbagbo et à notre père Bédié. Au cours de ces rencontres, je vais leur dire qu’ils sont des frères. En réalité, quand tu les écoutes individuellement, il n’y a aucun problème entre eux, mais ce sont les gens autour d’eux qui sont des obstacles à la cohésion entre les présidents. Les présidents sont submergés et pris en otage par leurs partisans qualifiés de militants de première heure. Les opposants d’un président, ce ne sont pas ses adversaires politiques mais ses militants va-t’en guerre qui le prennent en otage. Ce sont ces militants qui stressent et qui mettent la pression et la peur dans la tête de nos leaders qui sont obligés de se soumettre. Sinon, individuellement, ce sont des personnalités qui sont simples.

Le président Gbagbo Laurent, tout le monde sait qu’il est simple. Le président Alassane est d’une douceur sans pareille et cela se voit dans son parler. Quant au président Henri Konan Bédié, lui, la sagesse va le tuer. Lui, il a fini avec la sagesse. Alors, si les trois se mettent ensemble, où est le problème ? Que les trois se mettent donc ensemble pour développer le pays. Ils peuvent gérer alternativement le pouvoir à travers leurs partis respectifs. Leurs trois partis peuvent se relayer après deux mandats. Comme un jeu d’alliance. C’est parce qu’ils ne s’entendent pas qu’il y a des partis intermédiaires. La cohésion entre Alassane, Gbagbo et Bédié est donc possible. J’en ferai mon cheval de bataille. On n’a pas besoin de se tuer. Les hommes passent, le pays reste. Il faut que leurs partisans se revoient. Il faut aussi faire revenir le jeune homme (NDLR Soro Guillaume). Je souhaite qu’ils se mettent ensemble pour le bonheur des Ivoiriens.