Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

>

CAN 2022 : Comment la Fifa s’emploie à régner sur le foot en Afrique

Crédit photo: Actu cameroun

Facebook
Twitter
WhatsApp

Gianni Infantino a un don. Un vrai. Celui de ne jamais faire parler de lui en bien. Un projet de Coupe du monde tous les deux ans, une enquête de justice pour, entre autres accusations délicieuses, incitation à l’abus d’autorité, un rôle d’instigateur caché dans l’ébauche de la Super Ligue… Rien ne va chez l’ancien « chauve de l’UEFA », passé de simple exécutant bon enfant lors du tirage au sort de la Ligue des champions à président grand satan de la Fifa, en 2016, en remplacement de Sepp Blatter.

Son dernier fait d’armes? Des propos, au mieux maladroits, au pire insultants, lors d’une intervention, mercredi, au Conseil de l’Europe, pour justifier son projet de Mondial biennal : « Nous devons donner de l’espoir aux Africains pour qu’ils n’aient pas à traverser la Méditerranée pour pouvoir peut-être avoir une vie meilleure ici. Nous devons leur donner des opportunités et de la dignité. » S’il a estimé, jeudi, que ses dires avaient été « mal interprétés », le Suisse n’a pas fait remonter sa cote de popularité en Afrique.

« L’Afrique est faiseur de roi »

« Je ne suis pas surpris qu’il tienne ce genre de propos, parce que, depuis son élection, il enchaîne les coups bas contre le foot africain, même s’il donne l’impression de vouloir l’aider, indique Babacar Ndaw Faye, rédacteur en chef du site d’informations sénégalais Emedia, qui couvre l’actualité de tout le continent. C’est quelqu’un qui utilise toujours l’Afrique et son football pour faire sa propre politique et mettre sur pied ses objectifs, qui sont purement financiers. »

Financier, et un peu électoraliste aussi. « L’Afrique est faiseur de roi, explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport et du football. Infantino sait qu’il ne restera à la tête de la Fifa [qui n’a pas répondu à nos sollicitations] qu’avec le soutien des pays africains, qui représentent un quart des fédérations. ». Et qui voteront comme un seul homme pour la Coupe du monde biennale chère à Infantino, cela va sans dire. Car pour chapeauter ces 54 fédérations à sa guise, quoi de mieux que de parachuter un « pion » à la tête de la CAF (Confédération africaine de football), en la personne de Patrice Motsepe, « pas du tout connu dans le monde du foot africain », selon le journaliste, un des rares milliardaires du continent et président du club sud-africain des Mamelodi Sundowns.

Le Pacte de Rabat pour installer Motsepe

Alors qu’il était en concurrence avec trois autres candidats, Motsepe s’est retrouvé seul en lice quelques semaines avant l’élection. Par quel miracle ? Un hôtel de luxe à Rabat (Maroc), deux émissaires de la Fifa (dont Véron Mosengo, nommé ensuite secrétaire général de la CAF), des intermédiaires marocains et égyptiens, des postes promis en échange de candidatures retirées, et le tour est joué. Le Sénégalais Augustin Senghor,  favori du scrutin, laisse le fauteuil libre à Motsepe et se retrouve propulsé vice-président de la CAF.

Un mouvement tactique sobrement qualifié d’« unité africaine » par la fédération internationale, qui assume de son côté vouloir faire table rase de la mauvaise gestion passée de la CAF avec de nouvelles têtes aux commandes.

La CAF est sous tutelle de la Fifa

Au bout de ces mouvements suspects, toutefois, l’instance continentale se retrouve sous tutelle de la fédération internationale. « Maintenant, la CAF est simplement un département de la Fifa, il n’y a plus personne, il n’y a plus rien, déplore Abdouraman Hamadou, président du club camerounais de l’Etoile filante de Garoua et ancien membre de la Fédération camerounaise. Avec Issa Hayatou [ancien président de la CAF, suspendu de toute activité liée au football pendant un an], c’était la gestion à la petite semaine, artisanale, à l’ancienne. Mais, là, c’est le néant. »

Le néant même dans l’organisation du plus grand événement du continent, la Coupe d’Afrique des nations, qui se déroule actuellement au Cameroun. La Fifa a dépêché sur place des agents qui supplantent ceux de la CAF, à la manière du FBI qui vient dégager les bouseux d’une enquête. « Beaucoup de tâches qui devraient relever de la CAF sont sous la main de la Fifa et de ses agents, relève Babacar Ndaw Faye. Quand on parle à certains d’entre eux, ils te disent que tout se gère depuis Zurich, même pour des aspects les plus élémentaires. »

Silence dans les Fédérations

D’où, peut-être, les problèmes organisationnels, les polémiques sur les tests Covid, le niveau des arbitres… « C’est à cause de ça que la CAN est discréditée, car la CAF ne joue pas son rôle d’organisateur », peste Abdouraman Hamadou. Le président de club, qui estime « que le foot est en danger », avait d’ailleurs envoyé une lettre aux présidents des associations nationales membres de la Fifa en novembre dernier pour dénoncer les « agissements de Gianni Infantino au Cameroun et dans toute l’Afrique ».

« Tant que les Africains n’auront pas pris la main sur leur football et n’auront pas assumé la responsabilité que ça impliquait, il y aura toujours des acteurs extérieurs pour venir utiliser le foot à leurs dépens, les influencer et les instrumentaliser », reprend Jean-Baptiste Guégan. Contactées, de très nombreuses fédérations nationales n’ont pas répondu à nos demandes. Logique, pour Babacar Ndaw Faye :

Certains vont préférer ne pas trop se mouiller pour éviter d’éventuelles représailles. On l’a déjà vu avec la Fifa qui, du jour au lendemain, dresse des comités de normalisation à la tête des Fédération en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Mali ou au Tchad. »

Motsepe a (un peu) gueulé

Car, là encore, si elle estime qu’il y a une crise de gouvernance au sein d’une fédération, la Fifa, en vertue de l’alinéa 2 de l’article 8 du règlement, peut décider d’installer ses petits pions à la tête d’une fédé, qui formeront ce fameux comité de normalisation. Mais l’espoir est encore là. « Si révolte il doit y avoir, elle doit partir de certaines fédérations, comme au Cameroun, Sénégal, Algérie ou Côte d’Ivoire », assure le rédacteur en chef. « Il y a un potentiel de dingue, mais tout le monde se sert du foot comme d’un outil d’influence, reprend Guégan. Le football est une source de pouvoir, une source de financement pour une bonne partie des dirigeants et il a participé à la corruption des gouvernements. »

Malgré tout, Patrice Motsepe a prouvé qu’il pouvait être autre chose qu’une marionnette en tenant bon dans sa volonté de maintenir la CAN au Cameroun, alors que la Fifa poussait pour que la compétition soit déplacée voir même annulée. « J’espère que c’est le point de départ pour que les dirigeants africains puissent s’affirmer face à la Fifa, conclut Babacar Ndaw Faye. Parce qu’on ne peut pas être dans son bureau à Zurich à prétendre qu’on connait mieux le football africain que les Africains. »

Avec 20minutes