Une série d’e-mails internes à la direction de Nissan conforte la thèse d’un coup monté contre l’ancien patron de l’alliance Renault-Nissan Carlos Ghosn, qui avait été arrêté au Japon fin 2018 sur fond d’accusations de malversations financières et qui a fui l’archipel nippon en décembre 2019 alors qu’il était en liberté conditionnelle. Carlos Ghosn a toujours affirmé avoir été victime d’un tel coup monté. Le site Bloomberg publie en exclusivité des extraits de cette correspondance, qui selon lui mettent en lumière une volonté au sommet de Nissan d’évincer le magnat déchu, près d’un an avant son arrestation.
“Carlos Ghosn a toujours dit qu’il a été victime d’un coup monté. Maintenant, il y a des éléments qui soutiennent sa thèse”, commence par écrire le journaliste Reed Stevenson. “L’effort (pour évincer Carlos Ghosn) était partiellement motivé par une opposition à la volonté du magnat de renforcer l’intégration entre le constructeur japonais et son partenaire de longue date au sein de l’alliance, Renault SA, selon ces nouvelles informations”, explique le journaliste. “Les documents et témoignages de personnes proches du dossier montrent qu’un puissant groupe interne (à Nissan, NDLR) estimait que la détention et les poursuites contre Carlos Ghosn étaient une opportunité pour réorganiser la relation entre Nissan et Renault, en des termes plus favorables à Nissan”, ajoute-il.
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“Une série d’échanges d’e-mail datant de février 2018, confirmés par des personnes qui ont demandé à rester anonymes, dépeignent une campagne méthodique pour évincer un puissant dirigeant”, souligne Reed Stevenson. “Au centre de ces discussions, se trouvait Hari Nada, qui dirigeait le bureau du directeur général de Nissan et qui a ultérieurement passé un accord avec les procureurs japonais pour témoigner contre Carlos Ghosn. +Nissan doit agir pour neutraliser ses (Carlos Ghosn) initiatives, avant qu’il ne soit trop tard+, écrivait Nada, à la mi-2018, à l’adresse de Hitoshi Kawaguchi, responsable des relations gouvernementales au sein de Nissan”, détaille le journaliste.
“Le 18 novembre, un jour avant l’arrestation de Ghosn à Tokyo, Hari Nada a envoyé un document au PDG de Nissan de l’époque, Hiroto Saikawa. Dans ce document, Nada appelait à la résiliation de l’accord régissant l’alliance (entre Nissan et Renault) et à restituer le droit de Nissan d’acheter des actions au sein de Renault, ou même en devenir l’actionnaire principal. Nissan aurait cherché également à interdire au constructeur français de nommer le chef des opérations de Nissan ou d’autres dirigeants principaux de la compagnie japonaise”, explique le journaliste. “L’éviction de Ghosn constituerait un changement au sein de la plus grande alliance automobile (…)” aurait dit Nada, selon Bloomberg.
Le 19 novembre 2018, le patron du numéro un mondial de l’automobile Renault-Nissan-Mitsubishi Motors est arrêté à son atterrissage à Tokyo. Il était soupçonné d’avoir omis de déclarer une grande partie de ses revenus aux autorités boursières entre 2010 et 2015. Accusé de malversations financières, Carlos Ghosn, qui dispose des nationalités française, libanaise et brésilienne, était en liberté sous caution au terme de 130 jours d’incarcération, avec interdiction de quitter le territoire nippon, quand il a été exfiltré de l’archipel. Il a été soupçonné d’avoir quitté le Japon caché dans un caisson de matériel audio. Arrivé au Liban le 30 décembre 2019, il s’est posé en victime d’un “coup monté” et a assuré ne pas avoir eu “d’autres choix” que de fuir une justice “partiale”. Interrogé à plusieurs reprises sur les conditions de sa fuite, M. Ghosn a refusé de livrer les détails.
Auréolé de ses succès chez Nissan, devenu une véritable star au Japon, Carlos Ghosn a été par la suite nommé patron de Renault à partir de 2005, tout en continuant de diriger le partenaire japonais. Lors d’une conférence de presse le 8 janvier à Beyrouth, il avait vertement critiqué la gestion de ses successeurs. “Franchement, il n’y a plus d’Alliance” Renault-Nissan, avait-il affirmé. “La croissance a disparu, les profits sont en chute libre. J’ai du mal à trouver une quelconque direction stratégique”, avait-il lancé, en rappelant qu’il avait porté l’alliance au premier rang mondial en volume de ventes en 2017 et 2018.
“Quelques jours avant l’arrestation de Ghosn, Nada a cherché à élargir les accusations contre le magnat de l’automobile, affirmant à Saikawa que Nissan devrait pousser vers des accusations plus sévères en matière d’abus de confiance, selon la correspondance datant de cette période et des personnes proches du dossier”, explique Bloomberg. “Ces efforts doivent être soutenus par une campagne médiatique afin de s’assurer de la destruction de la réputation de CG (initiales de Carlos Ghosn), écrivait Nada”, poursuit le journaliste.
Avec L’Orient-le Jour