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Ces expressions à bannir absolument au bureau et ailleurs

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Le langage devient le fast-food de la pensée en entreprise et ailleurs. Non seulement il faut penser comme tout le monde, mais il faut le dire comme tout le monde. Les tics de pensée sont entretenus par des tics de langage et inversement ! Les expressions branchées créent à la satisfaction quasi générale une grande communauté de vide.

Ainsi, « Je suis sous l’eau », par exemple, permet de faire  savoir que vous ne  répondez plus à vos mails et que tous vos dossiers sont en retard et, par la même occasion, cela peut expliquer votre futur « burn out » parce que vous ne faites plus face. Pour les plus chics, vous êtes « over bookés ». En d’autre terme « vous êtes charrette ».

Les tics de langage finissent par déteindre sur nos comportements. Le « bon courage » en est un symbole phare Selon le dictionnaire : « Le courage est une vertu qui permet d’entreprendre des choses difficiles en surmontant la peur et en affrontant le danger, la souffrance, la fatigue,…», la vertu des héros. C’est évidemment la raison pour laquelle 20 fois par jour on se souhaite « Bon Courage! » en partant travailler, avant d’entrer en réunion, en prenant la route ou le métro, avant un rendez-vous, à la fin du week-end, en rentrant de déjeuner, aux enfants qui partent à l’école (bon début !) etc. Car tout cela relèverait de l’héroïsme dans une société qui pense que le travail est un mal nécessaire, mais un mal tout de même.

Le danger menace et vous vous sentez dépassé ? Un « ça va pas le faire! » angoissé exprime votre doute ou celui de votre collaborateur. Si ce dernier hésite vraiment face à une tâche rebutante, il lâchera un « ça m’saoule » péremptoire et élégant (expression adorée des ados qui savent de quoi ils parlent) et vous n’avez plus qu’à quitter le bureau à reculons. L’ambiance reste plombée lorsque le commercial lui aussi, vous prévient qu’il ne “va pas se prendre la tête”, voire que « ça le gonfle » de retrouver les coordonnés d’un client disparu. Pourtant au dernier séminaire avec séance de méditation (comment ça vous ne méditez pas ?), on vous a fait dire tous ensemble « on est dans le partage »… tant qu’on « se fait plaisir » tout va bien, et de toute façon, on est dans la bienveillance. S’il essaie et qu’il échoue il pourra vous dire le cœur sur la main « j’ai tout donné » inspiré en cela par le candidat de « The Voice » qui n’a pas été retenu.

La vulgarité en dessert

 « Y’a pas d’souci », en revanche, équivaut à un acquiescement gai et enthousiaste. Au bistrot vous êtes soulagé que le fait de commander un coca  ne présente  « pas de soucis » pour le garçon … ça  pourrait « poser problème » car le « problème » est partout, il menace, il jalonne votre journée (il justifie probablement le bon courage).

Vous arrivez à ce que vous croyez être un café et vous êtes accueilli d’un « c’est pour manger ? » suspect, vous sentez que si ce n’est pas le cas puisqu’il est midi, vous risquez d’être éconduit. On ne va pas déranger le couvert qui est déjà mis, pour une orange pressée. Mais le pire est dans la généralisation du terme “manger” ! On ne déjeune plus, on ne dîne plus, on ne goûte plus : on mange. On “mange ensemble”, on s’arrête pour manger, on fait à manger. Le monde est une mangeoire, la vulgarité en dessert. Il reste toutefois la pause-déjeuner, qui n’est pas encore la pause-manger, sans oublier le cocktail déjeunatoire (invention des traiteurs) dont la forme grammaticale est déjà une menace d’intoxication.

Le congé est une composante essentielle du travail. Les 35 heures ayant été  créés, les RTT (réduction du temps de travail) sont devenues un sigle qui fait des envieux dans le monde entier bien que n’ayant de traduction en aucune langue. Elles sont passées dans le langage commun à peu près autant que week-end. C’est ainsi que j’ai appris récemment au standard d’une administration que mon interlocuteur avait pris (on sent la haute lutte) sa  « globalisation de congés », “qui intègre les RTT”, m’a-t-on spécifié bien que je n’eusse rien demandé. Une autre  qui avait eu à subir le préjudice indéniable d’une bonne santé, avait pris ses « congés maladie » : elle y avait droit.

L’écrit n’est pas préservé de la perte de sens

Toutefois nous savons aussi reconnaître avec subtilité ce qui va bien. « C’est que du bonheur » est supposé exprimer en toute circonstance à quel point la vie vous a souri, qu’il s’agisse d’un simple pot avec vos collègues de bureau ou d’un succès quelconque  (le selfie sera là pour en témoigner). Le bonheur est un droit, il a supplanté le plaisir.  « Que du bonheur » s’applique donc à tous les menus plaisirs de la vie et s’emploie à toutes les sauces, personne ne doute que promener votre chien ne soit que du bonheur. Pour encourager le sort, on formule de nombreux souhaits à chaque épisode de votre journée, le restaurant étant en la matière leader : bon appétit, bonne dégustation (pour les carottes râpées), bonne continuation d’appétit (sic) ou bonne poursuite de repas, en revanche pas de « bonne addition », cela ne saurait tarder. Quand le courage n’est pas invoqué, la sollicitude est toujours là : bonne réunion, bon rendez-vous, bonne fin d’après-midi, bonne journée, bonne  continuation… « Ca marche » est le nouveau passeport pour l’action, certains restent sur « ça roule », mais en tous les cas vous n’aurez aucun détail, votre interlocuteur est déjà parti.

Langage bâclé, réduction du vocabulaire, grammaire inexistante, perte de sens

L’écrit pourrait nous sauver de ce qu’on appelait le langage familier. Nenni! Les mails se truffent de fautes d’orthographe, de grammaire (concours dans l’audiovisuel) de tournures maladroites, d’ellipses et d’abréviations inquiétantes. C’est ainsi que, jadis, j’ai répondu à un mail en commençant par « mon commandant » à un interlocuteur qui avait fait figurer CDT devant son nom. Je fus rapidement déniaisée : il s’agissait d’un « cordialement » accéléré. Le langage administratif a gagné du terrain, pour faire sérieux on plagie les textes abscons du code du travail ou des courriers administratifs qui ne s’adressent pas à Corinne Duplantin mais à Duplantin Corinne… Allez donc savoir pourquoi ? La nouvelle formule magique est « suite à », cela permet de relier ce qui n’a aucun rapport, mais avec faute de français en prime.

Pour éviter cela, rien de mieux que le franglais, interdit en principe par la loi ! Les mêmes politiques qui s’attaquent avec acharnement à la défense de la langue française (qu’ils écorchent sans vergogne) nous balancent des lois sur les FAKE NEWS qui d’évidence sont plus dangereuses en anglais que les fausses nouvelles. Nos ados sont adeptes de BINGE DRINKING (plus chic que la saoulographie organisée), on «  part de SCRATCH  » sur un dossier, et après le boulot rien de tel qu’un petit AFTER WORK car vous êtes BORDER LINE (épuisé). Nous subissons des BREAKING NEWS sur toutes les chaines infos qui cherchent des SCOOPS. Si vous voulez des éléments de langage rien de tel que le STORY TELLING… votre REPORTING n’est pas prêt? Vous allez provoquer un CLASH car en réunion on va travailler sur le BIG PICTURE (vision d’ensemble).

Avec Challenges