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Covid-19 et théories du complot : le documentaire “Hold-up” devenu viral

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C’est le film phénomène dont tout le monde parle en France : un documentaire de près de trois heures en forme d’attaque en règle de la gestion de la crise du Covid-19. Plus d’une trentaine de personnes sont interrogées, du chauffeur de taxi à l’infectiologue controversé Christian Perronne, en passant par l’ancien ministre Philippe Douste-Blazy, qui a depuis dénoncé le film. “Hold-Up” affirme révéler les mensonges du gouvernement autour du Covid-19 et le complot mondial destiné à contrôler les populations.

Financé par des cagnottes en ligne, “Hold-Up” a été massivement partagé depuis sa première diffusion le 11 novembre dernier. Critiqué par plusieurs élus, le film a fait l’objet de nombreuses opérations de vérification de la part de grands médias, dont Le Monde et Libération.

Face à la polémique, le documentaire signé de l’ancien journaliste Pierre Barnérias a même fini par être retiré de plusieurs plateformes… avant que des centaines de versions de la vidéo ne réapparaissent, sur YouTube notamment.

Avec le soutien de stars comme l’actrice Sophie Marceau, “Hold-up” a rapidement dépassé les cercles complotistes habituels pour atteindre la sphère du grand public. Des extraits circulent sur les réseaux sociaux, s’échangent sur Instagram et même sur Snapchat pour les plus jeunes. Depuis sa publication le 11 novembre, le film a déjà été visionné plus de 2,5 millions de fois.

Une construction habile

Le succès du film s’explique d’abord par une réalisation bien maîtrisée qui reprend tous les codes du documentaire d’investigation avec musique angoissante et convocation d’experts. “C’est un film qui se pare des atours du documentaire”, analyse Sylvain Delouvée, chercheur en psychologie sociale à l’université de Rennes 2. “Mais ce n’est pas un documentaire journalistique. Ici, il n’y a qu’un seul objectif : faire passer l’idée qu’il existe un vaste complot mondial.”

L’habileté de “Hold-Up” consiste à mélanger interrogations légitimes et insinuations fantaisistes en procédant par petites touches. “Contrairement à d’autres vidéos, vous remarquerez qu’il faut attendre un certain temps avant que la machine complotiste ne se mette en route. Au départ, le ton est au scepticisme et à l’esprit critique.”

Le film commence en effet par dérouler un catalogue des questionnements et des critiques qui ont émergé dans le débat public depuis le printemps dernier sur la gestion des masques, les effets potentiellement délétères du confinement, l’origine du virus ou encore le rôle des lobbys pharmaceutiques. “C’est le propre de la rhétorique complotiste de mélanger des éléments de vérité à des interprétations fausses, à des éléments tronqués, à des mensonges.”

Exemple avec ce rapport sénatorial sur l’épidémie de H1N1 publié en juillet 2010. “Les sénateurs, qui n’ont rien de prophètes, vont jusqu’à dénoncer une fausse pandémie”, prétend la voix off. En réalité, ce document est détourné en faisant dire aux sénateurs que l’OMS a inventé la pandémie. Ce dernier ne fait que relever les pires critiques adressées à l’OMS à l’époque.

Complots en pagaille

Pour convaincre, “Hold-Up” utilise la technique bien connue du millefeuille argumentatif. Dans la rhétorique complotiste, il s’agit d’empiler des arguments pour donner l’impression d’un ensemble cohérent, sans laisser le temps à son interlocuteur de réfléchir.

L’une des forces du documentaire est également d’agréger différentes théories du complot : masques inutiles, efficacité prouvée de l’hydroxychloroquine, liens avec la 5G, gouvernement mondial pour asservir les peuples…

“C’est un pot-pourri dans lequel chacun peut se retrouver, sur les masques, la 5G, les vaccins, le gouvernement mondial, inutile d’être à 100 % d’accord avec tout cela. Un spectateur pourra être séduit par l’une ou l’autre de ses approches”, assure Sylvain Delouvée.

“Cela permet de fédérer des gens autour de questionnements et de critiques qui vont au-delà des thèses complotistes habituelles”, confirme Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et en communication à l’université Panthéon-Assas. “Cela permet de rassembler des profils assez différents. La chose inquiétante, c’est que cela fait découvrir à des gens des idées avec lesquelles ils n’avaient pas été mis en contact jusqu’à présent.”

Tous complotistes ?

La popularité du film doit aussi beaucoup à sa large diffusion au-delà des réseaux sociaux via la messagerie WhatsApp. “WhatsApp permet de créer de petites communautés et de toucher directement des gens proches de nous”, assure Sylvain Delouvée, qui cite en exemple la campagne électorale de Jair Bolsonaro au Brésil.

Le discours du film qui prétend apporter des réponses en cette période incertaine de pandémie a également de quoi séduire. “Le caractère exceptionnel de cette période, la perte des repères, les incohérences des autorités officielles fabriquent un univers qui favorisent la perméabilité à des théories alternatives”, explique Arnaud Mercier.

Mais alors comment réagir ? Faut-il en parler au risque d’en faire la publicité ou d’être accusé à son tour de faire partie du complot ? La question est complexe et se pose de plus en en plus pour les journalistes, les enseignants ou encore les hommes et femmes politiques.

“Cela oblige à être beaucoup plus pédagogique et cohérent”, résume Arnaud Mercier.

“Il faut occuper le terrain et ne pas laisser dire n’importe quoi, plaide Sylvain Delouvée. Il faut continuer à argumenter et mettre les complotistes face à leurs contradictions.”

Avec France 24