Avec son visage angélique, son sourire contagieux, sa voix douce et ses yeux pétillants de bonheur, on la prendrait de prime abord pour une artiste. Mais non. Yvonne Mburu, plutôt, Dr Yvonne Mburu est une scientifique à la tête bien faite, une immunologue, une chercheuse. Et une tech-entrepreneure passionnée. Elle est la fondatrice et la P-DG de Med In Africa, une entreprise web lancée en 2016, qui est une plateforme pour scientifiques et médecins africains évoluant sur le continent ou à l’étranger, et dont l’ambition est de devenir le premier réseau de collaboration entre ces experts pour faire avancer le continent sur des problématiques médicales précises.
Cette scientifique kényane de 35 ans, qui a pratiqué les meilleurs centres de recherche dans le monde à savoir le Centre Médical de l’Université de Pittsburgh (Etats-Unis) et l’Institut Curie de Paris (France) où elle a travaillé sur des questions de cancérologie, a un CV qui ferait pâlir d’envie plus d’un. Un parcours scientifique et un engagement en faveur du continent à travers son entreprise qui ont milité pour son choix parmi les vingt (20) Young Leaders de la promotion 2017 de la fondation AfricaFrance. Un parcours exceptionnel marqué par une nouvelle consécration retentissante en fin août dernier : son choix parmi les onze (11) membres du Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) du président français, Emmanuel Macron, qui sont chargés de conseiller celui-ci sur sa politique africaine.
Dans cet entretien accordé à Lfrii l’Entreprenant (www.l-frii.com) le jeudi 7 décembre à l’hôtel 2Février de Lomé, en marge de la Conférence internationale sur la croissance et l’entrepreneuriat dans la zone UEMOA co-organisée par le Club 2030 Afrique et Émergence Capital, Dr. Yvonne Mburu nous dévoile des pans de son projet ainsi que ses ambitions pour les jeunes africains.
Dr Yvonne Mburu, quelles sont les problématiques auxquelles s’attaque la mise en place de votre start-up Med In Africa ?
Dr Yvonne Mburu : « La problématique, d’une part, est celle de la fuite des cerveaux. Dans les domaines de la santé et de la science, la fuite de cerveau est un problème énorme en Afrique. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent cela. Il y a certains qui partent pour des raisons de boulots, d’autres pour continuer leurs études.
D’autre part, la problématique relative à la diaspora dans le domaine scientifique, est le fait qu’il est difficile de convaincre les gens de rentrer. Parce que, souvent, le niveau technologique sur le continent n’est pas propice pour exercer son métier dans la mesure où l’équipement qu’il faut fait défaut. Aussi, la question du retour de la diaspora reste abstraite, tant qu’on ne connaît pas ce qui se passe au pays, tant qu’on n’a pas des personnes identifiées avec qui collaborer une fois arrivé.
Mais si on commence déjà à collaborer à distance sur certains projets, l’idée de rentrer est beaucoup plus concrète parce que je sais avec qui je vais travailler, où je peux m’installer, etc. C’était déjà ma propre situation, j’ai ressenti le besoin, et j’ai compris, selon l’avis des uns et des autres, que je ne suis pas seule.
C’est à ces deux aspects que s’attaque la mise en place de cette application qui veut rassembler toutes ces compétences et expertises africaines qui existent et qui ne sont pas forcément présentes sur le continent afin de les mettre en réseau ».
Dr Yvonne, vous abordez la question de l’immigration professionnelle qui est un sujet d’actualité. Quel est votre point de vue sur cette situation ?
Quand j’ai lancé cette initiative, je me suis dit, il ne s’agit pas du tout de demander aux gens de rentrer, parce que la liberté de mouvement est un droit. Chacun s’installe là où il se sent bien et exerce sa profession. Si les conditions sont réunies pour aller ailleurs, on ira, et si les conditions étaient aussi réunies pour exercer chez nous, on rentrera.
Il est donc important de créer des conditions pour attirer ceux qui sont partis et qui ont envie de revenir. En créant ces conditions, ceux qui sont sur le continent ne seront plus obligés de partir parce qu’ils n’ont pas accès à une technologie donnée ou à un champ d’opportunités globales ; et ceux qui sont à l’extérieur et qui veulent rentrer, vont se sentir accueillis et rentreront.
Je ne suis pas dans la démarche de dire de rentrer, mais de leur dire, même si vous ne rentrez pas, voilà ce que vous pouvez faire pour le continent.
Mais comment tout ceci va se mettre en place ?
Il nous faut une sorte de réseau mondial qui va commencer d’abord par l’identification de qui est où ?, qui fait quoi ? Qui sont par exemple des médecins togolais, quelles sont leurs spécialités, afin de les mettre en contact avec leurs confrères évoluant à l’étranger. Et nous irons encore plus loin d’une manière panafricaine, ce qui permettra de rassembler tous les spécialistes de toute l’Afrique.
Voilà l’objectif de Med In Africa, cartographier les médecins et scientifiques de la diaspora et ceux qui sont en Afrique afin de les rassembler, les mettre en réseau pour promouvoir les échanges entre eux.
A quelle étape êtes-vous dans le rassemblement de tous ces professionnels de la santé et de la science autour de la thématique de votre application ?
Nous avons lancé le projet en 2016. L’étape actuelle est celle de la cartographie et des algorithmes que nous venons de boucler. Il y a pour le moment le site internet accessible sur www.medinafrica.com que nous sommes en train de rebâtir. Avec le site internet, les scientifiques et médecins peuvent d’ores et déjà se porter volontaires pour faire partie du réseau. Parce que nous, on peut tout faire par le digital, mais ce sont les médecins, les scientifiques, eux-mêmes qui peuvent décider volontairement de faire partie de ce réseau.
Comment apprécient-ils cette initiative qui leur est dédiée ?
Il y a une bonne volonté du côté de la diaspora pour être impliquée dans l’écosystème de la santé et des sciences en Afrique.
Du côté de l’Afrique, il y a aussi ce changement et c’est ce qui me plaît beaucoup chaque fois que je parle de cette initiative, la jeunesse est progressiste. Elle veut être impliquée dans les grands débats mondiaux, qu’ils soient scientifiques ou médicaux. Du coup, l’existence d’une telle plateforme va faire parvenir ces idées des jeunes africains, qui sont tout aussi innovants, à différents niveaux de décisions et du coup permettra à ceux qui sont en Afrique et n’ont pas envie de quitter le continent, de contribuer aussi à faire progresser le continent.
Et moi, cet enthousiasme autour de cette plateforme est une source d’encouragement à progresser dans cette initiative.
Vous êtes une respectable scientifique avec un parcours impressionnant. Quel message auriez-vous pour les jeunes africains ?
Là où vous êtes, il faut être le meilleur. Il faut être le meilleur dans son métier et faire la promotion des bonnes pratiques et politiques dans votre métier. Si vous remarquez que quelque chose ne va pas bien, ne vous demandez pas seulement pourquoi ça ne va pas ?, mais cherchez à le résoudre ou proposez des solutions qui pourront faire changer ces situations. C’est ce qui peut nous aider à changer la face de notre continent.
Je vous remercie.