L’utilisation de drones par les forces de l’ordre, encadrée par un décret de 2023, s’est généralisée pour la surveillance de manifestations, lors des mobilisations des 10 et 18 septembre notamment, malgré l’inquiétude des défenseurs des libertés publiques.
Moyens de surveillance, de détection ou d’appui pour des opérations: en deux ans, ces petits aéronefs télécommandés et équipés de caméras, dont l’usage nécessite la prise d’arrêtés préfectoraux, sont ainsi devenus des outils « indispensables », notamment sur les grands événements, selon la police nationale.
En cinq ans, la flotte nationale a triplé, comptabilisant 965 drones pour la gendarmerie, et 650 pour la police nationale, selon les chiffres communiqués par les autorités à l’AFP.

En tout, plus de 1.500 gendarmes et policiers ont ainsi été formés « à la fois sur le pilotage, les sujets de sécurité aérienne mais également le cadre d’emploi de la caméra déportée », précise le général Philippe Mirabaud, sous-directeur de l’emploi des forces de gendarmerie.
Il insiste sur le cadre juridique strict dans lequel sont utilisés les drones.
« Chaque mission est tracée, on sait quel est le télépilote qui l’a réalisée, où, quand, combien de temps, on sait où sont stockées les images, que les images ne seront stockées que sept jours et qu’elles seront ensuite détruites », assure-t-il.
Utilisés à des fins de maintien de l’ordre depuis le milieu des années 2010, les drones ont fait l’objet d’une bataille juridique de plusieurs années, avec de nombreux recours associatifs, notamment devant le Conseil d’Etat, qui ont permis d’aboutir à un « cadre législatif » défini par la loi relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure de 2022.
Une demande soumise à autorisation préfectorale doit être faite par la gendarmerie ou la police, en détaillant les raisons, mentionnant le périmètre géographique surveillé, la durée d’utilisation ou encore le nombre de caméras qui enregistrent en simultané.
La captation de son, la reconnaissance faciale ou le croisement de fichiers ne sont pas autorisés.
Mercredi soir, trois arrêtés de la préfecture de Seine-Maritime autorisant le survol des manifestations à Gonfreville, le Havre et Rouen ont été suspendus après des recours du Syndicat des avocats de France (SAF).
Pour le mouvement « Bloquons Tout » du 10 septembre, 82 arrêtés préfectoraux autorisant l’usage de drones ont été comptabilisés sur le territoire par l’Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), le SAF et le Syndicat de la magistrature.
Les activistes en ont contesté « une trentaine » devant le juge des référés, aboutissant à « une douzaine » de suspensions, rapporte Serge Slama, professeur de droit public et président de l’ADELICO, dénonçant un déploiement d’une ampleur « sans précédent en France ».
Les arrêtés couvraient des zones parfois très importantes, jusqu’à des départements entiers, comme dans l’Orne et le Morbihan, où ils ont été suspendus par les tribunaux administratifs.
-« Massification »-
Les critères requis sont l’« adéquation, (la) nécessité, (la) proportionnalité », liste Me Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), en soulignant un dernier posé par le Conseil constitutionnel: « Etant donné les libertés qui sont en cause, il faut que l’usage du drone soit le dernier recours ».
En dépit de ce dernier critère, la LDH dénonce « un côté exponentiel » des moyens engagés, et un « moindre contrôle » de l’autorité préfectorale et des juges administratifs.
« Vous avez une généralisation du drone, une massification dans toute la métropole, et des pratiques préfectorales empêchant la contestation et n’informant pas le public de l’utilisation des drones », appuie M. Slama.
Selon la police nationale, cette technologie est pourtant « devenue indispensable à la sécurisation des grands évènements ».
« Il apparaîtrait aujourd’hui difficile de se passer de cet outil qui représente une véritable plus-value dans les missions de police du quotidien », soutient l’institution, citant « la surveillance des frontières, la lutte contre les rodéos urbains, les violences urbaines, le trafic de stupéfiants ou plus généralement la sécurisation de nos concitoyens ».
« Aujourd’hui, se passer de drones, c’est comme se passer de la vue« , résume le général Mirabaud.
Selon lui, les forces de l’ordre visent un « équilibre entre demande de sécurité » de la population et « vigilance par rapport aux libertés et à la protection des personnes ».
Pour Serge Slama, « la bataille des drones est perdue », puisque ceux-ci sont entrés dans les usages des forces de l’ordre. Pour autant, en continuant de contester les arrêtés, il compte « faire en sorte que l’usage soit (…) moins généralisé », et « corresponde vraiment à une utilité opérationnelle ».
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