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Guinée : pour le président Alpha Condé, la route vers un troisième mandat demeure parsemée d’obstacles

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Le ministre guinéen de la Justice, Cheick Sako, a démissionné lundi après cinq ans et demi passés au sein de trois gouvernements successifs. Dans un courrier adressé au chef de l’Etat, il assure ne pas avoir été associé « à la rédaction de la nouvelle constitution » et évoque son opposition à ce projet pour justifier sa décision. Le texte, qui n’a pas encore été rendu public, est d’ores et déjà rejeté par l’opposition et la société civile.

Dans sa quête présumée de troisième mandat présidentiel, Alpha Condé devrait rencontrer plus d’un obstacle. Lundi, son ministre de la Justice, Cheick Sako, a démissionné. Officiellement, l’ex-Garde des sceaux s’oppose au projet de nouvelle constitution. Une initiative contre laquelle l’opposition est aussi vent debout. Elle y voit un stratagème du chef de l’Etat pour rester au pouvoir à l’issue de son second et dernier mandat, conformément à l’actuelle loi fondamentale. En avril, les principaux de partis de l’opposition et la société civile ont lancé le Front national pour la défense de la constitution (FNDC). Cette plateforme du refus s’est félicitée de la « décision salutaire du ministre ».

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 « Nous avons l’ambition de défendre la constitution, la démocratie et les principes de l’Etat de droit, assure Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition dont le parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), est membre du FNDC. Les recours en justice risquent de ne pas porter car les juges ne voudront pas examiner nos demandes. L’objectif du FNDC est de faire barrage au projet de présidence à vie. » Une pratique observée chez les premiers présidents, Sékou Touré et Lansana Conté.

Le 18 mai, la direction du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, au pouvoir) a demandé au président Condé « de doter le pays d’une loi fondamentale votée par référendum par le peuple souverain ». Un projet de texte a été élaboré mais n’a pas été rendu public. Outre la définition de l’exercice du pouvoir, de nouveaux articles sont consacrés à la jeunesse, aux femmes, à la diaspora… Plusieurs constitutionnalistes dont Maurice Zogbélémou Togba, un ancien ministre de la Justice, ont été consultés. Ce dernier est un ardent défenseur du texte. Selon lui, aucune constitution n’interdit d’adopter une nouvelle loi fondamentale. Et ce projet se justifie après la sortie d’un d’Etat d’exception, en référence à la transition militaire de 2008 à 2010 qui avait déjà abouti à l’adoption d’une constitution.

La démission de Cheick Sako sonne pourtant comme un désaveu pour Alpha Condé même si le locataire du Palais Sékhoutouréya ne s’est pas prononcé sur la question du troisième mandat. Ses proches, en privé, ne cachent pas sa volonté de prolonger son règne. Alpha Condé a été élu en 2010 à l’issue d’un scrutin considéré comme « démocratique » mais qualifié de « hold-up » par les opposants. Cellou Dalein Diallo était arrivé en tête avec près de 44 % des voix au premier tour contre moins de 19 % à Alpha Condé. Le deuxième tour n’a été organisé que cinq mois plus tard sous le contrôle de l’armée accusée de partialité.

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Le 4 avril 2019, le chef de file de l’opposition a demandé aux forces de sécurité de ne pas suivre aveuglément Alpha Condé. Trois personnes ont arrêté fin mars à Coyah pour avoir dévoilé une banderole sur laquelle était inscrit « Non à un troisième mandat » avant d’être relâchées, deux jours plus tard. Le lendemain, le Premier ministre Kassory Fofana déclarait : « Dieu a donné la santé à notre chef… pour pousser la Guinée vers le bonheur ».

A 81 ans, le professeur Condé est un politicien madré. Nourri à la sève du militantisme, l’ancien leader de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) a commencé à envoyer des émissaires pour sensibiliser l’Elysée à un potentiel troisième mandat.

En 2010, Bernard Kouchner, qui était le patron du Quai d’Orsay, lui avait donné un grand coup de pouce politique en parvenant à convaincre Nicolas Sarkozy de miser sur lui. Mais la situation n’est plus la même aujourd’hui : à l’Elysée comme au Quai d’Orsay, l’éventuel stratagème constitutionnel inquiète. Emmanuel Macron est un libéral. Alpha Condé est, lui, perçu comme un « idéologue ».

La France et les Etats-Unis ne le laisseront pas manœuvrer à sa guise si les événements venaient à mal tourner. C’est un risque. L’opposition et la société civile ont prévu de battre le pavé alors que ces dernières les autorités ont acquis beaucoup de matériel de maintien de l’ordre. Et l’arme des sanctions pourrait in fine être utilisée.

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Fin stratège et adepte de la diplomatie économique, Alpha Condé s’est rapproché de la Russie, de la Chine et de la Turquie. Moscou l’encourage publiquement dans son projet, la Chine et la Turquie plus discrètement. Les sociétés chinoises exploitent les mines guinéennes, notamment de bauxite.

Le groupe turc Albayrak a récupéré en août dernier une concession pour la gestion d’une partie du port de Conakry. Alpha Condé pourra aussi compter sur le soutien de ses camarades de l’Internationale socialiste en Afrique de l’ouest, de Denis Sassou-Nguesso (République du Congo) et de Paul Kagamé (Rwanda). Il jouit aussi de l’appui de Mohammed VI.

Le roi lui est très reconnaissant d’avoir « mouillé le mot » pour favoriser le retour du Maroc à l’Union africaine. La diplomatie marocaine étudie déjà les moyens d’aider le président guinéen. « Nous n’aurons pas la tâche facile, confie un émissaire discret du royaume. Paris et Washington ne vont pas le laisser rempiler. »

Avec L’Opinion