Le développement économique de l’Afrique n’est plus une question d’espérance. Il est là et se ressent dans les chiffres. L’attrait du continent pour des investissements de ses fils et filles ou des étrangers, les chiffres de la croissance, l’adaptation sociale à l’innovation ainsi que les opportunités, en sont quelques-unes des illustrations. Des changements qui, aussi infimes soient-ils, sont des prémices pour les perspectives sereines.
Même si des doutes subsistent, certains Africains, bien conscients de ces mutations et de l’importance de les soutenir pour une croissance partagée, n’hésitent pas à s’engager pour démonter les clichés des sceptiques. Leur combat est celui de faire du développement de l’Afrique une réalité à travers la promotion de partenariats pérennes et gagnants-gagnants. L’un d’eux n’est autre que le sexagénaire Franco-Béninois, Lionel Zinsou, un ‘afro-optimiste’ convaincu.
De l’économie aux finances en passant par les investissements privés, les affaires et la politique, M. Zinsou, maîtrise son sujet. Et ce, à travers son parcours –Agrégé en Économie, ancien professeur d’économie à l’Ecole normale Supérieure, ancien président de la banque Rothschild, ancien Premier ministre du Bénin, actuel président de PAI Partners (le plus grand fonds d’investissements européen), etc.- qui fait de lui une référence dans des lieux de prise de décisions.
L’homme aux multiples casquettes et actuel co-président de la fondation AfricaFrance veut faire de la convergence des talents africains, un levier fort et une arme de choix sur laquelle le continent peut compter. Le programme Young Leaders en est d’ailleurs une illustration palpable.
Rencontré en octobre dernier à Abidjan dans le somptueux cadre du Sofitel Hôtel Ivoire d’Abidjan, en marge des Rencontres Africa tenues dans la capitale ivoirienne, le Professeur est revenu sur la genèse de cette initiative qui, cette année, est à sa deuxième édition, les clichés subsidiaires de la FrançAfrique, sa foi dans les potentialités de l’Afrique, et particulièrement en la jeunesse qui est un atout considérable pour son développement. Une démarche qui justifie le leitmotiv de la fondation Africa France : Africa is now.
L’interview exclusive de l’ex-Premier ministre béninois et co-président de la fondation Africa France ici
Lfrii l’Entreprenant : M. Zinsou, quel est l’objectif de ces assises africaines dénommées Rencontres Africa qui se tiennent cette année dans trois grandes villes africaines ?
Lionel Zinsou : L’objectif est d’amener des entrepreneurs et chefs d’entreprise en deux journées à rencontrer des gens qu’ils mettraient au moins deux mois à rencontrer si un tel événement n’était pas organisé. C’est une question importante pour nous. Celle d’arriver à multiplier les contacts, faire en sorte que les gens se connaissent. Parce qu’il faut d’abord se connaître pour se faire confiance.
Elles rencontrent un succès dans la mesure où nos prévisions en termes de chiffres de participations dépassent nos attentes. Pour la première édition tenue en 2016 à Paris, nous avions enregistré plus de 2.000 entreprises participantes.
Après, il y a une forte demande de sa tenue en terre africaine. Pour les trois étapes, Abidjan, Nairobi et Tunis, il y a près de 5.000 entreprises qui sont inscrites. Evidemment, chaque entreprise vient avec plusieurs collaborateurs, ce qui augmente le nombre de participants.
Ce qui est intéressant, c’est qu’à ces Rencontres Africa, il y a tout un univers de PME et de très grandes entreprises qui n’ont pas l’habitude ni d’exporter ni d’investir à l’étranger. L’objectif est de les mettre en confiance afin qu’elles viennent voir pour se faire une idée. Qu’elles écoutent des ministres en charge du Commerce, de l’Economie, de la Promotion de l’Investissement, du Secteur privé, de l’Industrie, des chefs d’entreprise, des futurs partenaires, des concurrents éventuels, etc., et pèsent les pour et les contre afin de prendre des décisions.
Ces chiffres sont un aspect satisfaisant de ce forum. Cet appétit de se connaître. C’était une intuition pour la première édition. Cette édition de 2017 la confirme.
Au cours de ces Rencontres Africa, il s’agit de tisser de nouvelles relations de partenariat, ce qui nécessite des préalables. Lesquels doivent remplir les entreprises africaines pour être à même d’avoir des échanges d’égal à égal avec celles françaises ?
Les conditions sont réciproques. Il n’y a pas de conditions pour les Africains qui soient différentes pour les Français. Il faut des entreprises qui aient une bonne gouvernance de chaque côté. Pour cela, on n’a pas besoin d’être de très grandes entreprises avant de se lancer dans la démarche partenariale.
Pour arriver à construire un partenariat dans la confiance, il faut être en état de garantir une bonne gouvernance. Après, il faut aussi avoir une bonne connaissance de son métier, de ses produits et services. Il faut être professionnel pour apporter vraiment quelque chose à l’autre. C’est la même règle de part et d’autre de la Méditerranée.
M. le président, les entreprises françaises sont souvent considérées comme des ailes marchandes de l’ancienne FrançAfrique. Comment peut-on donner un visage nouveau à ce partenariat afin que cette relation puisse pleinement profiter aux entrepreneurs ?
Il y a beaucoup de choses qui ont changé dans l’histoire depuis la fin de la période où la France était appelée La Métropole des pays africains. Cela fait quand même 57 ans, le temps d’une vie d’homme ou de deux générations. Et en ces deux générations, beaucoup de choses ont changé.
D’abord, la France est désormais une concurrente en Afrique. Aujourd’hui, les parts de marché de la France sont seulement de 5 % des importations sur le continent. Ce qui veut dire que la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, la Turquie et le Brésil sont passés par là. Vous avez donc d’énormes diversifications des économies. S’il y a des gens qui pensent que ça ressemble un tant soit peu à l’économie des années 1960, c’est qu’ils n’étaient pas nés en 1960, et ils ne peuvent pas se rappeler comment ça fonctionnait.
Aussi, ces changements se ressentent dans les chiffres. En termes de parts de marché et d’investissements, tout a changé dans un monde devenu très concurrentiel. Les parts de marché de la Chine en Afrique il y a seulement 20 ans, étaient de 1/15 des parts de marché de la France. Aujourd’hui, les parts de marché de la France sont 1/3 des parts de marché de la Chine. Les pays émergents ont beaucoup changé la donne.
A l’époque, il n’y avait pas de banques panafricaines, d’agence d’UBA, d’Ecobank, de First Bank partout. Tout cela est sorti de terre. Les échanges aujourd’hui, qu’il s’agisse de marchandises ou de services entre les pays africains ont plus que décuplé.
La croissance de l’Afrique, c’est trois fois celle de l’Europe aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que nous sommes plus riches, mais simplement que nous rattrapons à grandes enjambées notre retard. Ce fut le cas de la Corée du Sud après la guerre, et même de la Chine il y a trente ans. Elle est aujourd’hui la première puissance commerciale du monde, et sera dans peu de temps, la première puissance économique tout cours.
Le monde n’a absolument rien à voir avec la période de la FrançAfrique. Il y a des gens qui ont du mal à évoluer et qui continuent de penser que tout est comme dans les années 60, des années 80 ou l’an 2000. Le monde a changé, en revanche, dans certaines mentalités, les choses évoluent beaucoup plus lentement. Même s’il y a certains qui pensent qu’il y a une domination de l’Europe, de la France, il faut qu’ils sortent de la pensée et regardent juste un tout petit peu la réalité du monde. La réalité du monde, c’est que la FrançAfrique n’existe plus. Il reste des idées de complots politiques, de grands intérêts, etc. pour des gens chez qui c’est un sujet de rébellion. Tout cela est imaginaire par rapport à la réalité que nous vivons aujourd’hui. Rassurons-nous, tous les chiffres montrent qu’il n’y a plus aucun rapport !
L’une des notions revenues au cours de l’étape abidjanaise des Rencontres Africa, est celle de l’innovation. Comment pensez-vous que l’innovation puisse changer d’ici quelques années le visage de l’Afrique ?
Vous savez, l’innovation est la grande nouveauté de ces dix dernières années. Là encore, ce sont les visionnaires qui peuvent s’en apercevoir.
A titre d’exemple, il y a quelques années, personne n’a prédit le développement exponentiel de la téléphonie mobile et des Smartphones en Afrique. Tout le monde s’était trompé, personne n’avait vu venir le phénomène. Derrière cela, il y a une conséquence. Celle de la création par des Africains d’une série d’applications dédiées à l’Afrique.
Avec ces innovations, nous commençons à avoir des solutions utilisables dans tous les secteurs de la vie et qui sont acceptables économiquement. Qu’il s’agisse des paysans dans nos campagnes ou des cadres supérieurs dans les capitales, ces solutions permettent de changer à toute vitesse les choses.
L’innovation est rentrée dans tous les domaines fondamentaux de nos vies. Certes, aujourd’hui la possibilité de se parler, d’acheter, de vendre, d’avoir accès à l’eau, d’avoir des soins à distance, de contrôler l’action publique, de surveiller les processus électoraux à travers les nouvelles technologies semblent être de la science-fiction pour certains. Mais dans dix ans ça ne sera plus le cas puisque nous sommes le continent qui avance plus vite en termes d’adaptation sociale des innovations.
Ce sont donc les entrepreneurs visionnaires qui doivent se saisir de ces opportunités naissantes pour proposer des solutions à nos sociétés africaines. Des solutions adaptées à nos réalités et mœurs pour changer le visage de l’Afrique demain.
Selon certains analystes, les défis sécuritaires auxquels l’Afrique fait face sont des freins à la signature de contrats de partenariats durables entre les entreprises des pays riches et africaines. Êtes-vous de cet avis, vous qui essayez de changer cette situation ?
Je ne suis pas d’accord avec cette assertion. Actuellement, il n’y a pas de guerre civile en Afrique comme ce fut le cas dans les années 90. Il y a certes le phénomène des groupes terroristes qui sévit un peu partout dans le monde, mais ce n’est pas une particularité africaine. Ce sont des ennemis non-conventionnels de nos Etats.
Ce sont des risques sécuritaires qui existent, mais ce n’est pas pour autant que les pays touchés par ces attentats ne se développement pas. Pour preuve Nairobi, Abidjan et Tunis sont des carrefours économiques très importants dans leurs sous-régions respectives. Leurs pays ont connu des situations sécuritaires difficiles, pourtant, ils sont dans une dynamique économique très forte.
Depuis dix (10) ans, les investissements étrangers en Afrique subsaharienne ont été multipliés par cinq (5). C’est une preuve du plébiscite du continent. Cela veut dire que des entreprises sont intéressées. Il n’y a plus de peur. Le risque africain a beaucoup diminué pour les entreprises privées, qu’elles soient françaises, américaines ou chinoises. Nous ne sommes pas dans une situation sécuritaire différente de ce qu’on a à Londres, à Paris ou à Las Vegas. Il y a beaucoup plus de confiance en l’Afrique, c’est un marché qui attire beaucoup plus de gens.
Au cours de ces Rencontres Africa, on retrouve de très grandes entreprises et on parle de développement, économie, de grands chantiers. Mais quelles places pour les jeunes pousses en l’occurrence les startups qui enregistrent une dynamique impressionnante sur le continent ?
Des sessions sont également organisées pour elles. Il y a par exemple la session sur le numérique, les villes intelligentes, etc. Une équipe du Comité d’organisation du grand salon des startups françaises, appelé VivaTech participe à ces Rencontres Africa. L’objectif est de rencontrer un maximum de startups afin de les inviter à venir en mars 2018 à Paris pour ce grand rassemblement de financement de startups. C’est un événement mondial au cours duquel l’Afrique sera le grand invité.
Vous faites une place de choix à la jeunesse africaine surtout avec le programme Young Leaders d’AfricaFrance. Quel message avez-vous à l’endroit de cette jeunesse ?
Je prendrai la question sur deux volets.
Avec mon parcours dans le secteur privé, je pense que la jeunesse est un atout énorme pour l’Afrique en termes de nouveaux comportements, d’ouverture à l’innovation, à de nouvelles formes de créations, d’arts, de modes, de productions cinématographique et numérique, etc. Elle est une force extraordinaire de renouvellement d’idées et un moteur de croissance.
Sur le volet de mon expérience publique. La moitié de la population africaine a moins de 17 ans. Ce n’est pas 34 ans ou 36 ans comme dans les pays développés. Ces jeunes actifs sont la partie la plus importante de la population y compris de l’électorat. Quand on est un homme politique, on est obligé de se soucier de l’opinion de cette jeunesse.
D’ailleurs, cette jeunesse comprend qu’elle est une force et qu’elle a des droits. Par conséquent, elle comprend que c’est elle qui va faire bouger les droits sociaux, exiger la démocratie et une meilleure gouvernance en Afrique.
Le message à leur endroit est de l’appeler à prendre davantage conscience de cette grande responsabilité qui lui incombe tant sur les plans économiques que politique dans l’avenir du continent pour ne plus commettre les erreurs du passé.
Je vous remercie.