Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

>

Jack Ma : la chute vertigineuse de l’icône chinoise

Facebook
Twitter
WhatsApp

“La Chine d’aujourd’hui n’est pas celle qui est entrée à l’OMC”. L’année dernière, l’ancien patron de l’institution Pascal Lamy actait, avec un peu d’amertume, la fin de l’illusion : la Chine, qui devait devenir une nouvelle puissance économique à l’entrée du nouveau millénaire, et surtout une réelle démocratie, a choisi un autre chemin, celui d’un régime autoritaire et hyper-interventionniste.

La prise de pouvoir du président Xi Jinping a peut-être clos la parenthèse de ce capitalisme à la chinoise, fulgurant et capable de concurrencer les géants américains. L’emblème de cette émergence était évidemment Alibaba, fondé par Ma Yun dit Jack Ma. Le puissant homme d’affaires est devenu l’homme le plus riche de Chine, puis l’homme le plus riche d’Asie et faisait partie des plus fortunés du monde.

Devenant une fierté nationale, son nouveau statut lui donnait aussi quelques libertés. Si l’ancien professeur d’anglais, parti de rien, était encarté du parti communiste chinois, Jack Ma n’a jamais cherché la discrétion, assumant sa richesse et surtout son pouvoir, glissant parfois dans ses discours quelques pics au régime notamment sur la gestion de la pollution dans les grandes villes chinoises.

Après avoir passé le relais à la tête d’Alibaba en septembre 2019, Jack Ma a poursuivi ses prises de parole libres jusqu’à finalement provoquer la colère des autorités en octobre dernier, en critiquant l’attitude des banques chinoises comparées à des “prêteurs sur gage”. Dans un pays où l’Etat se mêle de tout, la sortie était visiblement celle de trop.

“Capitaliste malfaisant”

Un mois plus tard, l’entrée en bourse d’Ant Group, bras financier d’Alibaba tourne au vinaigre. Ce qui devait être la plus grosse IPO de l’histoire (avec une valorisation à 37 milliards de dollars) est retoquée par les régulateurs chinois à la surprise générale, deux jours avant la date choisie. La veille, les autorités annonçaient un serrage de vis sur les activités de prêts en ligne.

Mais selon le Wall Street Journal, c’est le président Xi Jinping en personne qui est intervenu dans le dossier Ant Group. Echaudée par les critiques de Jack Ma, Pékin a entamé le processus d’affaiblissement de l’empire Alibaba. La semaine dernière, une enquête pour des pratiques monopolistiques présumées est lancée en Chine. Une semaine plus tard, les dirigeants d’Ant Group sont convoqués par le pouvoir central et sommés de rectifier la trajectoire de l’entreprise alors que les autorités s’inquiètent de l’endettement grandissant des ménages en Chine.

Pour Jack Ma, la chute est d’abord financière. En deux mois, l’homme d’affaires a perdu 11 milliards de dollars. Il a aussi perdu du crédit auprès des Chinois et des organes de propagande. Le voici désormais affublé de surnoms comme “capitaliste malfaisant” ou “fantôme suceur de sang”.

Au-delà du cas personnel de Jack Ma (qui rappelle aussi la mise au pas du fantasque prince Al Walid ben Talal par son cousin le prince héritier Mohammed ben Salmane), le pouvoir central semble vouloir reprendre les choses en main en affaiblissant les conglomérats suffisamment puissants pour concurrencer le régime et surtout déstabiliser l’économie. Le reproche fait à Ant Group est son activité de prêts en ligne alors que la dette chinoise dépasse les 300% du PIB et celle des ménages atteint les 60% du PIB.

“Pendu au sommet du lampadaire”

Ces 20 dernières années, la fulgurante ascension des milliardaires chinois s’est aussi accompagnée d’une hausse des inégalités. En 2020, le nombre de milliardaires en Chine continentale a bondi, passant de 621 à 878. Le salaire moyen d’un Chinois, quant à lui, dépasse à peine les 700 euros. Si bien qu’un phénomène de ressentiment envers les riches s’est développé dans un pays, de plus en plus isolé politiquement depuis le déclenchement de la guerre commerciale par Donald Trump.

“Un milliardaire populaire comme Jack Ma sera certainement pendu au sommet du lampadaire” scande un message populaire sur les réseaux sociaux chinois, repris par le New York Times, en allusion à la célèbre exclamation “à la lanterne” lors des pendaisons sous la Révolution française. Un ressentiment que le parti communiste semble prêt utiliser au détriment du capitalisme à la chinoise qui a pourtant fait du pays une des premières puissances économiques du monde.

Et Jack Ma ? Selon Bloomberg, les autorités lui auraient “conseillé” de ne pas quitter la Chine.

Avec BFMTV