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Khaled Olabode Igué, l’afro-réaliste

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Khaled Igue ce jeudi 7 décembre à Lomé

Béninois, issu d’un milieu social ‘très modeste’, Khaled Olabode Igué est un pur produit de la ‘méritocratie républicaine’, un Afro-optimiste, mais très réaliste avec une vision claire : celle d’apporter à son continent une plus-value avec ses compétences. Après ses parcours scolaires primaire et secondaire jusqu’à l’âge de 18 ans dans son pays, il rejoint l’occident pour ses études supérieures en l’occurrence l’Université de Chicago pour des études de Génie Civil, puis l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne pour des études d’Economie et de Management qu’il complète par un Master Exécutif en Politiques publiques à Sciences Po Paris.

Passionné du continent, malgré sa brillante carrière dans des multinationales telles qu’Areva, EuroGroup Consulting, et depuis 2016, chez le groupe marocain, Office chérifien des phosphates (OCP) en tant que Directeur des Partenariats Publics et Institutionnels, ce jeune de 34 ans, n’a rien perdu de sa vision. Il fonde en 2013, le think tank Club 2030 Afrique, un laboratoire d’idées dont l’objectif est de proposer, non seulement aux décideurs publics, aux entreprises africaines, mais aussi à la société civile africaine, des idées innovantes pour le développement de l’Afrique.

Un profil de top manager associé à celui d’un engagé aux côtés de la société civile africaine qui ont valu à ce Béninois de talent, son choix parmi les 20 Young Leaders 2017 de la fondation AfricaFrance.

Rencontré, le jeudi 7 décembre dernier à l’Hôtel 2Février de Lomé, au cours de la Conférence internationale sur la croissance et l’entrepreneuriat dans la zone UEMOA co-organisée par le Club 2030 Afrique et Émergence Capital, Khaled Igué est revenu sur son engagement, ses ambitions pour le contient, a donné son avis sur certaines idées arrêtées sur l’entrepreneuriat en Afrique francophone, et a exprimé ses espérances pour la jeunesse du continent.

 

Khaled Igué, vous êtes jeune, vous avez une brillante carrière dans des firmes internationales. Mais vous décidez de porter l’initiative de ce think tank et d’en faire une référence en termes de propositions d’idées innovantes aux décideurs. Pourquoi ce choix ?

Khaled Olabode Igué : « J’ai mis en place une telle initiative à cause de ma passion pour notre continent. Parce que, si nous voulons que l’Afrique soit émergente à l’horizon 2030, il faudrait que les politiques publiques de base qui servent aux populations soient pensées et soient mises en place.

Nous ne pouvons plus concevoir que dans 15 ans, un enfant qui naît sur le continent, n’ait pas le droit de recevoir une bonne éducation. Nous ne pouvons plus concevoir que dans 10 ans, une femme enceinte ne sache pas où se faire soigner et accoucher. Nous ne pouvons plus concevoir que dans 10 ans, la question de sécurité alimentaire de nos populations se pose encore et qu’on soit là à réfléchir sur comment se nourrir une fois par jour.

Ce sont là des questions qui méritent des politiques de base, et nous ne pouvons pas parler d’émergence ou développement si ces conditions politiques de base ne sont pas réunies.

L’autre aspect qui a aussi motivé cette mise en place est que, nous voulons avoir une vision africaine de l’Afrique. Nous voulons avoir une école de pensée africaine qui tienne compte de notre écosystème, de nos valeurs et qui peut produire des politiques publiques en adéquation avec ces valeurs-là.

Ce refus de voir les conditions difficiles de vie de nos populations perdurer couplé à la nécessité de trouver des solutions endogènes à nos problèmes sont les motivations qui ont conduit à la création du think tank Club 2030 Afrique ».

Khaled Igue

Cet engagement à fort impact social, ne tirerait-il pas ses sources du milieu social duquel vous êtes issu et de votre expérience multiculturelle ?

Si. À travers tous ces prismes d’expériences, j’ai compris que la meilleure manière de développer notre continent, et de contribuer à son essor est de s’engager. Mais quand on dit ‘S’engager’, il n’y a pas que l’engagement politique. Il y a l’engagement au niveau de la société civile qui est un engagement beaucoup plus fort. Pourquoi ?, parce que c’est la société civile qui apporte les idées et l’expertise.

 

Khaled, vous faites partie des jeunes Béninois dans le top management à l’international. S’il faut résumer les traits de personnalité qui sont vos moteurs pour arriver à ces niveaux, que diriez-vous ?

Je pense qu’il y a trois traits très importants : Ce sont l’engagement, la détermination et l’envie de contribuer au développement de notre contient. Je suis parti du Bénin à l’âge de 18 ans pour faire mes études universitaires à l’étranger. Je viens d’un milieu social ‘très modeste’ bien qu’ayant des parents intellectuels. Et il n’y a que l’engagement, la détermination et l’envie de contribuer au développement du continent qui peut amener jusque-là.

Et à juste titre, je suis un pur produit de la méritocratie républicaine. J’ai été dans les meilleures universités au monde et j’ai réussi, parce que je voulais apporter quelque chose à mon continent, et je n’avais d’autres choix que de réussir.

 

Khaled Olabode Igué et les 19 autres Young Leaders de la fondation AfricaFrance à Paris

Nous assistons à une conférence qui s’articule autour de l’entreprenariat, de la croissance dans la zone UEMOA qui compte 8 pays francophones. M. Khaled, les francophones comparés aux anglophones en Afrique de l’Ouest sont pris pour les moins entreprenants. Comment changer cette donne si au vu de votre expérience multiculturelle, elle était vraie ?

C’est une très belle question ça (rires). Pour moi, cette idée reçue, selon laquelle les anglophones seraient plus entreprenants que les francophones est fausse. Parce que, par nature, nous, Africains, sommes entreprenants. Quand vous regardez notre économie, elle est commerçante. Étant  Béninois, je suis mieux placé pour affirmer cela, parce que le plus grand marché de l’Afrique de l’Ouest, Dantôkpa, est à Cotonou,. Je suis Yorouba, une ethnie commerçante.

L’Afrique est entreprenante, les jeunes sont entreprenants. Nous entreprenons en Afrique pour une question de survie. Regardez un peu, les gouvernements  ont atteint leur limite, ils n’arrivent plus à embaucher parce qu’ils n’ont plus de poches d’emplois. Et il faut se poser la question si c’est leur fonction première ? C’est plutôt l’entreprise qui crée des emplois, et qui crée de la valeur ajoutée.

Notre seul problème, c’est qu’après les indépendances, nous avons tout misé sur la politique, nous avons oublié de créer des entreprises dans les années 60 et c’est cela qui nous rattrape aujourd’hui. Nous avons une très forte démographie, mais nous n’avons pas assez d’entreprises pour suivre cette démographie-là. Nous n’avons pas créé assez d’associations pour apporter l’expertise et l’accompagnement. Donc l’heure est  venue pour nous de créer nos entreprises.

Pour revenir à votre question, les anglophones contrairement aux francophones, ont compris très tôt après les indépendances, le rôle que jouent les entreprises dans l’écosystème de l’emploi. Et tout de suite, ils ont mis en place cet écosystème d’incubateurs, d’accélérateurs d’entreprise, de financements d’entreprise. Parce qu’ils ont très vite compris que c’était avec les entreprises qu’on pouvait créer de l’emploi.

En Afrique francophone, nous ne sommes pas autant en retard que ça. Nous avons l’entreprenariat dans le sang, dans nos gènes. Nous allons pouvoir vite combler ce gap-là. Et c’est pour cette raison que tenir une telle conférence à Lomé est très importante pour la zone UEMOA.

 

Khaled Olabode Igué et les 19 autres Young Leaders de la fondation AfricaFrance à Paris

Vous co-organisez cette conférence qui prend en compte la zone de l’UEMOA. Pourquoi ce choix plus large au lieu d’avoir une approche pays par pays ?

Parce que la zone UEMOA est une intégration régionale exemplaire, elle est exceptionnelle. Nous avons choisi l’UEMOA, parce que nous voulons partir d’une base existante qui est bonne parce que l’intégration régionale, est une clé pour notre croissance. Notre continent est balkanisé, ce qui crée des marchés très petits et qui ne sont pas très attractifs à l’échelle mondiale. Le fait de se regrouper, de créer une zone de près de 150 millions d’habitants, ça change tout.

Qu’est-ce qui attire les investissements, c’est le marché. Il n’y a rien d’autre. Pourquoi des entreprises arrivent à des moments à s’installer quelque part ? Parce qu’ils ont un marché et parce qu’il y a un potentiel. C’est tout. La zone UEMOA est un vrai marché qui a du potentiel  en termes de ressources, en termes d’individus et en termes de monnaie commune empreinte de stabilité.

Pour toutes ces raisons, l’intégration régionale est la clé et il faudra aller loin dans l’avenir vers une intégration continentale, économique, culturelle et peut-être un jour politique.

Donc à partir de cette conférence où nous faisons la promotion de l’entrepreneuriat, la mise en place d’écosystèmes qui favorisent la création d’entreprise, d’incubateur, d’accélérateur, de formation et de financement, c’est un signal fort que nous envoyons pour tout le contient.

 

Les Young Leaders avec le co-président de la fondation, Lionel Zinsou

Khaled Igué, l’émergence à l’horizon 2030 pour le continent alors que les poches de misère subsistent, nous n’avons pas encore fini avec les risques politiques dans nos pays, etc. Mais ne pensez-vous que c’est un optimisme béant pour notre continent ?

Moi, je suis sûr que ce sera une réalité, je suis un afro-optimiste, mais très réaliste. Parce que si vous faites une matrice des analyses de faiblesses et d’opportunités, nous avons des opportunités gigantesques, je ne sais même pas si ces genres d’opportunités existent quelque part dans le monde.

Qu’est-ce qui fait à un moment donné qu’on développe quelque chose ? Ce sont les ressources et les compétences. Nous avons les deux. En tout cas, sur l’aspect des compétences, nous sommes en train de les avoir.

Aujourd’hui, je ne peux être qu’optimiste en disant que nous le serions dans les 15 prochaines années, si et seulement si, nous mettons en place des politiques publiques adéquates. Cet aspect est fondamental et c’est pour cela mon engagement avec le Club 2030 Afrique.

 

Khaled Olabode Igué et les 19 autres Young Leaders de la fondation AfricaFrance à Paris

Khaled Olabode Igué, vous êtes un modèle pour tous les jeunes du continent africain de par votre parcours et engagement dans la société civile. Quel message avez-vous à l’endroit de cette jeunesse ?

Comment faire pour susciter l’espoir au sein de la jeunesse africaine a toujours été au centre de toutes mes réflexions. Il y a trois points essentiels qui changent entre la génération de nos parents et la nôtre.

Le premier, c’est que nous les jeunes Africains, nous avons pris connaissance de notre potentiel. 30 % des matières premières du monde se retrouvent sur notre continent. 60 % des terres arables non-cultivées sont sur notre continent. Le deuxième, c’est que nous sommes beaucoup plus formés que la génération précédente. Le troisième, c’est que nous avons compris que les autres sont des partenaires. Il n’y a plus de relation dominants-dominés. Ce sont des partenaires et nous devons bâtir des relations stratégiques.

Nous avons pris conscience de ces trois points-là et nous n’avons plus peur de nous engager pour notre continent. Même si nous sommes en entreprise, nous n’avons plus peur de créer une association à côté pour participer au développement de notre pays, de notre continent.

Nous avons le continent le plus beau du monde, le continent le plus prospère du monde, nous avons 1, 2 milliard de personnes sur le continent et dont la moitié a moins de 30 ans. C’est du potentiel que nous pouvons mobiliser pour son développement, si et seulement si cette jeune population est occupée, si elle a une activité. C’est pour cela que la Conférence de Lomé est une occasion pour mettre le point sur l’entrepreneuriat et proposer des solutions pour de meilleures politiques publiques. Et c’est là, mon engagement !