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‘‘Le ciel seul devrait être la limite de nos ambitions’’, Jonas A. Daou, P-DG SODIGAZ SA

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Les questions sur sa percée dans l’arène de l’entrepreneuriat au Togo, les défis liés à l’énergie et au développement, ou plus simplement les questions existentialistes, mieux ses prochaines ambitions…. Jonas Aklesso Daou a reçu LFRII à 10 mois de son ‘’nouveau challenge’’ en préparation.

Vendredi 15 mai 2015, lendemain de l’ascension, un jour où la plupart des chefs d’entreprise et autres citoyens lambda peinent à retrouver leur rythme de travail, la veille se voulant arrosée et parsemée de friandises de toute sorte, fête oblige.

12h30 min, Lomé, zone portuaire, siège SODIGAZ S.A, atmosphère ‘’bon enfant’’ dans l’antichambre du bureau du patron des lieux. Une réunion en finition. Et sans transition aucune (agenda chargé, veille d’un voyage), M. Jonas Aklesso Daou, le quadragénaire P-DG de SODIGAZ S.A. et patron de DIWA Group International et KAPI Consult, reçoit LFRII pour un entretien en ‘’off’’. Une rencontre inespérée, voulue depuis deux ans et catalysée par un coup de fil le mercredi 13 mai.

 Bureau sobre. Chose surprenante quand on sait qu’il est celui du patron de l’une des entreprises togolaises qui joue dans un secteur longtemps pensé réservé aux multinationales et dont le produit est devenu un réflexe dans les prévisions mensuelles des ménages togolais. Néanmoins, une chose attire l’attention, un plan à l’échelle 1/200 fixé au mur.

 Allure élégante, chemise manches longues couleur rouge bordeaux, pantalon sur-mesure et lunettes percées avec la politesse et l’humilité des grands patrons. « Je m’appelle tout simplement Jonas » nous lance-t-il, nous qui commencions par dire ‘’Président, bonjour !’’

 Après quelques échanges d’usage, nous nous mettons d’accord pour un entretien informel sur des sujets tels que l’entrepreneuriat, l’énergie, le développement (…) pour ne pas déroger à sa règle : pas d’interview officielle pour des raisons de convenance personnelle.

 Entrepreneuriat, l’épineux problème du manque de rentabilité dès les premières années

Les jeunes sont conviés à entreprendre, mais l’un des problèmes majeurs auxquels ils sont confrontés est celui de la rentabilité au cours des premières années. Faire serrer les ceintures aux associés constitue l’un des paramètres à prendre en compte. Pour celui qui a troqué le confort dont jouit tout haut cadre de ‘’Shell International’’ il y a quelques années, contre les dures réalités parfois désenchanteresses de l’entrepreneuriat en Afrique, ‘’Les premières années n’étant pas forcément financièrement rentables, si vous voulez que vos collaborateurs serrent la ceinture, il faudrait d’abord être un exemple et que le projet soit porteur.’’

Mais insiste-t-il, ‘’Il ne faut pas mettre sur pied un projet entrepreneurial juste pour le plaisir. Il doit être créateur de valeur ajoutée et de richesse. Pour les collaborateurs que vous allez recruter, les rémunérations à venir doivent les faire rêver pour qu’ils puissent rester avec vous au moment des difficultés.’’

‘’Si vos collaborateurs partent, vous perdez des ressources, vous créez de la compétence pour la concurrence qui va les reprendre et en plus, c’est très coûteux de renouveler les équipes.’’ explique cet homme averti, également chasseur de têtes au cabinet KAPI Consult.

 ‘’Prendre ensemble des risques pour gagner plus.’’

Faire seul le chemin ou s’associer avec des personnes qui n’ont pas la même vision de réalisation, un dilemme dont n’importe quelle branche constitue une cause de l’échec des projets des jeunes. Autre élément de contre-performance, le manque de confiance mutuelle pour travailler ensemble. Pour Jonas, l’entrepreneuriat n’étant pas une création africaine, si l’on veut s’y mettre, il faut copier toutes les bonnes manières et notamment de l’Occident ou de grands Groupes. ‘’Prenons des grandes entreprises à l’instar de Shell International ou même Ecobank à côté de nous, qui ont des millions d’individus actionnaires. Ces gens en majorité ne se connaissent même pas, mais arrivent à ‘’s’entendre’’ pour un objectif commun : créer de la valeur et gagner plus.’’

 ‘’On ne peut plus entreprendre de grandes choses en restant seul. La capacité de collaboration est nécessaire pour créer ou produire plus et donc gagner plus. Il faut une même vision de réalisation pour prendre ensemble des risques afin d’optimiser le retour sur investissement,’’ nous explique-t-il avant d’ajouter, ‘’la recette de ces challenges qui réussissent, est  la confiance en soi. Parce que quand vous avez confiance en vous, vous l’aurez en l’autre, ce qui permettra une collaboration franche et efficiente. On voit trop souvent les gens sous nos cieux entreprendre seuls au motif qu’ils ne trouvent pas des gens dignes de confiance ; c’est à se demander si eux-mêmes en sont dignes en suivant la fable de l’âne du poète portugais Fernando Pesoa.’’

 Le potentiel entrepreneurial en Afrique

En Afrique, nous avons du potentiel à revendre, et tout est à construire. La jeunesse de la population, les ressources et opportunités sont là. Pour l’ancien élève de l’ENSI (École Nationale Supérieure d’Ingénieurs, filière mécanique, Université de Lomé) qui est titulaire d’un MBA obtenu à Zurich et est également passé par le Laboratoire d’Économie des Transports de Lyon 2 et l’École Nationale d’Administration (ENA) de Paris pour un perfectionnement en Stratégie et Intelligence Économique, « il faut se cultiver, promouvoir l’excellence et être inventif ».

 ‘’Bien entendu, il faut que l’État organise et rende l’environnement propice à entrepreneuriat sans se substituer aux privés et aux investisseurs. C’est bien que le Togo ait gagné 10 points dans le dernier rapport du Doing Business, mais nous demeurons dans le peloton de queue. Il faut donc qu’on en fasse plus dans les réformes et la liberté d’entreprendre’’, dit-il avant d’ajouter l’exemple du Singapour, ‘’ils n’ont ni l’eau, ni la terre, et même le sable, ils l’importent, mais ils sont parmi les premiers dans le rapport 2014 et ont un PIB par habitant qui fait presque 60 fois le nôtre. Au début des indépendances dans les années 60, nous étions presque au même niveau! Allons donc apprendre chez eux.’’

 Réussite entrepreneuriale en Afrique, une affaire de «bras long» ?

Certaines appréhensions en Afrique attribuent la réussite entrepreneuriale à la proximité avec les palais présidentiels, les cartes de partis politiques ou le «bras long», quelques-unes des raisons qui freinent les ambitions d’une catégorie de personnes. Pour Jonas qui a eu à entendre ces sons de cloche comme tout le monde, ‘’un bébé ne naît pas avec les bras longs. S’il s’agit juste d’avoir les ‘’bras longs’’ pour réussir, pourquoi ne pas commencer par se les rallonger ? C’est pour rire(…) Mais, sérieusement, il faut plus que des bras pour réussir, surtout en entreprise. ‘’

 ‘’Le problème, c’est qu’en Afrique, quand tu dis, que tu as un projet, la première question qu’on te pose est « Peux-tu le faire ? » et non « Qu’est-ce qu’on peut faire pour t’aider à le réussir ?». Culturellement et socialement, nous ne sommes ni préparés, ni orientés à l’entrepreneuriat. Il faut donc encourager et soutenir ceux qui s’y lancent pour en faire des exemples et des références.» ’’, souligne-t-il pour conclure.

 Formation mécanique et entreprise dans le domaine énergétique, quel lien ?

A la vue profane, la mécanique et l’énergie n’ont rien en commun et c’est là que l’entretien devient un espace de compréhension intéressant. Avec un sourire espiègle, il objecte, ‘’la base de l’énergie est la mécanique. Le premier moteur était mécanique. La mécanique est la science du mouvement et la base de l’énergie.’’

 ‘’Les Anglo-saxons définissent l’énergie comme ce qui fait mouvoir les choses, « the making things work ». Un objet qui ne bouge pas est quand même en mouvement statique donc producteur d’énergie. Tout ce qui est en mouvement est tributaire d’énergie, en production ou en utilisation.’’

 Des métiers du back-office tels que les mécaniciens ou chimistes sont des professions et métiers que la plupart ne considèrent pas, mais qui font fonctionner les entreprises, précise-t-il avant d’ajouter plus loin : ‘’On utilise tous des produits pharmaceutiques ou même cosmétiques chaque jour, mais avez-vous rencontré une fois un ingénieur chimiste à l’entrée d’une entreprise ? …Non ce n’est pas courant. L’exemple du barrage électrique : On voit l’électricien qui utilise le fruit du barrage et tout le monde connaît l’ingénieur civil qui a construit la structure externe en béton. Mais on parle rarement du mécanicien qui a construit le cœur même du barrage, tout le système interne constitué de turbines qui est la base de la production électrique. C’est cela les fonctions de back-office, ce n’est pas toujours visible mais, c’est pointu et les possibilités sont immenses et inépuisables dans le domaine de la mécanique. On en a besoin dans tous les métiers et processus industriels.’’

 Les lubrifiants de Diwa Group International et la mécanique ?

La découverte continue avec Diwa Group International, l’autre entreprise dont le lubrifiant est le métier de base. Comme la première, le lien n’est pas vite fait avec la mécanique. ‘’En mécanique, celle précisément des contacts, il y a ce qu’on appelle « la tribologie ». Tout ce qui fonctionne en termes de machines a besoin de lubrifiant. Les applications vont de l’aviation à la construction des routes (l’asphalte, le bitume) en passant par la marine, les grosses machines et bien sûr les véhicules. Nous sommes présents au Togo, mais aussi dans d’autres pays de la sous-région.’’

 Questions existentialistes et de développement

La tendance commune actuelle se penche vers le fait que les études philosophiques et sciences sociales ne servent pas à grand-chose pour le développement d’un pays. Pour Jonas, qui a toujours un avis quand l’occasion lui est donnée lors de conférences, il s’inscrit en faux. ‘’Si nos philosophes ne se posent pas les questions existentialistes, comment nos scientifiques pourraient-ils chercher à résoudre ces problèmes et nous trouver des solutions adéquates et adaptées à notre existence ?’’, avance-t-il pour expliquer sa position avant d’ajouter, ‘’se poser ces vraies questions existentielles : qui sommes-nous ? que voulons-nous ? où voulons-nous aller ? Là sera la base du développement que nous cherchons. Si nous ne revenons pas à ces fondamentaux existentialistes, nous allons subsister, mais nous ne nous réinventerons pas. On a donc besoin de philosophes, d’anthropologues, de sociologues, d’historiens, de géographes, etc.… en grande quantité et bien formés ; en plus de mathématiciens et autres scientifiques. D’ailleurs, je pense qu’on ne forme pas suffisamment de mathématiciens alors que nos sociétés et pays en ont un énorme besoin.’’

 Jamais un sans deux

« Le ciel seul devrait être la limite de nos ambitions. Il y a tellement à faire dans nos pays en Afrique, nous sommes jeunes, il faut croire en soi, rêver et travailler », nous explique celui qui malgré les opportunités de son job précédent, a décidé de son retour au bercail et n’a pas hésité à retrousser les manches parce que « le Togo est mon pays, et la question ne se pose même pas.»

Cette facette d’analyste et d’organiseur incarnée à travers le cabinet KAPI Consult, cabinet international d’études et de conseil arrive sur la sellette. Quid de la deuxième édition de la journée de l’intelligence économique qu’organise le cabinet ? ‘’Elle se tiendra probablement à la rentrée. Nous sommes en train de revoir complètement le format pour susciter plus d’intérêt surtout de la jeunesse.’’, nous confie-t-il.

 Disponibilité énergétique et émergence d’un pays

L’entretien ne saurait se terminer sans la question sur le rôle de l’énergie pour l’émergence économique d’un pays : ‘’Une des principales forces des pays qui sont développés est qu’ils ont compris et développé la disponibilité de l’énergie.

La première révolution fut celle de la machine à vapeur, ce qui a conduit au Siècle des lumières. Les Africains étaient « objets » de traite négrière puis de colonisation en ces temps. La deuxième s’est faite sous nos nez et barbes, celle des TIC. L’Afrique devrait en être le premier utilisateur tant en qualité qu’en quantité pour son développement, mais vous savez où nous en sommes que ce soit sur la qualité d’internet ou sa disponibilité.‘’ dit-il, avant d’ajouter, ‘’La troisième révolution sera celle de la transition énergétique et de la qualité de vie humaine. Ma question est, « serions-nous actifs ou acteurs pour ce rendez-vous et pour quel rôle ?»’’

 Cette question de notre interlocuteur reste sans réponse, mais un autre rendez-vous est pris dans 10 mois pour le ‘’prochain challenge’’ en préparation, référence au plan à l’échelle 1/200 accroché au mur du bureau. 14h20 min./.