Jimi Hope a rendu l’âme dans la nuit de dimanche à lundi, à Paris, à l’âge de 63 ans. L’écrivain togolais Kangni Alem (Grand Prix littéraire d’Afrique Noire, il enseigne le théâtre et la littérature comparée à l’Université de Lomé) rend hommage à un artiste inclassable, qui aura passé sa vie à peindre, sculpter et chanter.
La disparition de Jimi Hope laisse le Togo orphelin d’une part de lui-même. À l’annonce de sa mort, de jeunes musiciens se sont rassemblés à son domicile, pour faire des bœufs en hommage à l’artiste disparu, faisant résonner leurs improvisations dans la maison du défunt jusque tard dans la nuit pour célébrer l’âme de cet artiste inclassable, « plus vivant que jamais ».
Jimi Hope aura passé sa vie à peindre, sculpter et chanter. Il laisse plus de 200 tableaux, presque 3 000 chansons enregistrées et inédites, une quinzaine d’albums, dont les textes sont connus de tous les Togolais. Tôt ou tard, It’s too late, Fikè o le o, Ezanledo, Woman… Partout, ses refrains sont revenus à l’esprit et aux lèvres de ses fans. Jusqu’au président Faure Gnassingbé, qui a salué d’un tweet le décès de l’artiste, dont l’une des œuvres monumentales orne le grand hall du palais présidentiel.
Artiste précoce (à l’âge de 6 ans, déjà, il revendait ses dessins et sculptures en ébène), il a fait ses premiers pas sur la scène musicale dès les années de collège. Après s’être fait remarquer dans les orchestres scolaires, son aventure musicale démarre vraiment dans les années 1980, avec le groupe Acid Rock.
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Très peu de musiciens africains ont, comme lui, réussi à percer dans le rock. Mais Koffi Senaya, devenu « Jimi » en hommage à Hendrix et « Hope » pour contourner le poids d’un patronyme qui signifie « le destin fait don du malheur », avait la carrure et la voix taillées pour faire carrière dans le genre. Il alternera le rock et le blues, l’anglais et le mina [une des langues gbe], pour conquérir un public tout aussi diversifié.
Acid Rock fut un creuset multiculturel, avec un groupe de musiciens français, la plupart expatriés au Togo. Un patchwork savant d’instrumentistes qui connaissent leurs classiques, mais ne les respectent pas toujours.
Jimi chante le rock pur et dur, en anglais et en français. L’acid rock est un genre de rock psychédélique caractérisé par l’improvisation, de longs solos instrumentaux et peu de paroles. Mais Jimi est un homme de paroles. Il ne peut se trémousser longtemps au seul son des riffs de guitare. Il improvise ses premiers chants populaires, puisant dans les contes et les proverbes du Togo : le résultat est saisissant. Le public découvre un jeune fou, qui connaît son talent et va vite apprendre à maîtriser ses démons et sa guitare.
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Dans les années 1990, au détour des contestations démocratiques, sa voix prendra un ton singulier. Les chansons de cette époque sont humoristiques. Jimi chante l’apparition des taxis-motos, nouvelle méthode de transport dans un pays en récession, imagine la force des rêves et les désillusions dans son tube Aglan, l’histoire du crabe qui rêve d’avoir construit un gratte-ciel et se retrouve au réveil sur un plat fumant de purée de farine de manioc.
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Mais le blues, il le sait, c’est la musique du diable. Et le diable est partout sous ses formes métaphoriques. La mélancolie profonde de certaines compositions à l’harmonica et à la guitare propulse les chants au niveau de la réflexion philosophique sur les espoirs et la difficulté de vivre, peu importe le statut. Car Jimi était lui-même un homme aux statuts divers, qui fréquentait autant le bas-peuple que les riches palais, les élites aussi bien que les ouvriers.
« Le chemin de la Paix », monumentale fresque au cœur de la ville de Lomé, sur le tronçon interminable de la nationale 1, fut le dernier grand projet artistique auquel l’artiste participa aux côtés d’une vingtaine de grands plasticiens togolais. Comme pour sceller à jamais un pacte visuel avec les habitants de cette ville, où il naquit en 1956, et où beaucoup de ses admirateurs rêvent de le voir enterré.
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Jimi Hope, comme un patrimoine d’espoir, à jamais gisant et ondoyant dans la cité marine et lacustre, dont il a chanté le grand marché Asiganmé, et son appendice incroyable, l’industrieux carrefour Deckon, lieu de révoltes, de fureurs, de cris, de joies et de commerces inavouables.
Kangni Alem