Le Président Jean-Baptiste Satchivi est un homme occupé. Il vient de finir sa communication au cours de la Conférence internationale sur la croissance et l’entrepreneuriat dans la zone UEMOA co-organisée par le Club 2030 Afrique et Émergence Capital tenue en ce début de mois de décembre à Lomé. Un sujet qu’il maîtrise, d’autant plus qu’il est le Président de la Chambre Consulaire Régionale de cette zone économique, et de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin (CCIB), capitaine d’industrie et serial entrepreneur à succès avec un back-ground sérieux en économie. Il est titulaire de diplômes supérieurs en recherche économique et commerce international, et d’un master en affaires et développement de l’Université Paris V. Il prépare même actuellement une thèse sur l’économie solidaire.
Il consulte sa montre. Il est 15h 30, heure de Lomé. Il doit filer. Il a un vol pour Cotonou pour prendre part à une réunion dans moins d’une heure. Le programme est serré pour le fondateur du groupe béninois CDPA (Comptoir de distribution de produits alimentaires), comptant plus de 400 employés et, dont le chiffre d’affaires caracole dans les 50 milliards de FCFA. La tentative d’entretien semble être étouffée dans l’œuf …, mais contre toute attente, il décide d’y consacrer une dizaine de minutes, et ce, en descendant les marches de l’hôtel 2Février où se tient la Conférence. Plus encore, il est affable, sans aucune arrogance, et répond aux questions poliment en donnant même quelques tapes amicales.
Dans l’entretien, le sexagénaire, self-made man, aux cheveux coupés ras, à la moustache finement taillée, et au regard d’acier, livre sans ambages les bases essentielles pour la réussite en entrepreneuriat, son triptyque pour la croissance d’une entreprise, son avis sur les opportunités de l’agrobusiness pour les jeunes ainsi qu’un éclairage sur sa thèse portant sur l’économie solidaire.
Monsieur le président Jean-Baptsite Satchivi, vous êtes un homme qui a réussi par votre travail. S’il fallait donner quelques bases essentielles de cette réussite aux jeunes, lesquelles donneriez-vous pour qu’ils suivent, eux aussi, un tel chemin de réussite en entrepreneuriat ?
Jean-Baptsite Satchivi : « Si réussite veut dire entreprendre, créer de la prospérité et des emplois et faire grandir son projet, je pense que ces bases essentielles sont au nombre de quatre. La première, c’est avoir l’idée de projet et la concevoir. La seconde est celle de la foi en son projet. La troisième, est la culture de la persévérance, et enfin, la quatrième est l’amélioration continue de son projet.
Tout part de l’idée de projet, et qu’on conçoit ensuite. Ce faisant, la réalisation n’est que plus aisée puisqu’on aurait une vue d’ensemble sur les contours. Sur ces contours, on met en place des principes et des stratégies qu’on essaie de faire appliquer.
Il faut croire en son projet. Avoir la foi et la volonté, parce qu’entreprendre n’est pas une chose facile.
La persévérance. Ce n’est pas parce que vous avez la foi, vous avez démarré et effectué les conceptions que l’environnement devient hyper-favorable pour vous faire grandir. Il faut surtout cultiver la persévérance. Sur votre parcours, il y aura des hauts et des bas. Même les grandes structures ne sont pas épargnées. La question est de savoir, comment est-ce qu’on rebondit ?, parce que j’ai l’habitude de dire, ‘10.000 fois, vous allez tomber, mais 10.001 fois, vous devez vous relever. Sinon après, c’est la mort assurée !’.
Enfin, avoir la dynamique permanente de l’amélioration de son concept, de son modèle économique. Il est important de continuer à batailler et à rendre actuels vos concepts. Comme j’ai l’habitude de le dire : ‘Rester toujours jeune dans sa tête quel que soit l’âge, parce que ça permet de garder cette dynamique qu’il faut en entrepreneuriat’ ».
Monsieur le Président, les bases sont posées. Comment faire croître son entreprise ?
Là, il y a trois éléments importants que j’appelle le triptyque du développement dans lequel l’Homme est au centre des préoccupations, entouré d’un certain nombre d’agrégats qui lui permettent de bien s’en sortir.
Le premier élément est la formation de l’Homme. Sa capacité à conduire son projet, à choisir des femmes et des hommes qui vont l’accompagner pour le réaliser.
Le second est l’environnement dans lequel se retrouve un certain nombre d’acteurs dont le secteur public. Sous nos cieux, le secteur public, a pratiquement tous les instruments de décision, et même nous oppose parfois de gros concurrents venant de l’administration. De fait, il confond son rôle d’accompagnateur du porteur de projet. Il faut déceler ces écueils pour les éviter afin de faire progresser son projet.
Le troisième, c’est la pertinence de son projet. Est-ce, parce que, Pierre fait quelque chose qu’il faut que Paul aussi le fasse sans apporter aucune amélioration ? Ce faisant, on tue les opportunités de ce segment. Il faut donc dégager la pertinence du projet et lui donner au fil du temps la dynamique d’amélioration continue comme nous venons de le voir.
Vous êtes un magnat de l’agrobusiness, un domaine qui a encore de beaux jours devant lui sur le continent africain. Quels messages auriez-vous aux jeunes afin de les inciter à s’y investir ?
Les jeunes ne devraient pas stigmatiser l’agriculture. Il faut être fier d’être des entrepreneurs agricoles. Vous me voyez là, je suis en costard. Quand je vais à la ferme, je suis en T-shirt avec mes rangers, ma casquette et mon vélo en train de faire le tour.
L’agriculture n’est pas à mépriser. Elle nourrit, habille, loge son homme, du moins, quand on est dans la production agricole. Quand on rentre dans la transformation, on donne davantage de la valeur ajoutée, et pour la distribution n’en parlons même pas, les opportunités sont énormes. C’est le soubassement du développement économique un peu partout.
Il faudrait véritablement mettre l’accent sur le secteur de l’agrobusiness. Il faut à la limite le ‘déstigmatiser’ aux yeux des jeunes, et leur dire que c’est un vivier où on peut créer son emploi, et créer de la richesse. On dit que la terre ne trompe pas, moi, je dis toujours que : ‘La terre ne trompe que le paresseux !’.
L’agriculture avec ses services connexes et transversaux sont des opportunités pour les jeunes. Mais comment faire pour les y amener ?
Il faut orienter les jeunes vers des formations pointues dans ces différents secteurs. Nous ne sommes plus à l’heure de l’école du blanc, de l’époque coloniale, où il fallait fabriquer des administrateurs. Aujourd’hui, ce qu’il faut faire, c’est produire des praticiens, des BAC +1, BAC+2, techniciens, ingénieurs, qui savent utiliser un tracteur pour avoir un bon rendement, qui savent faire des mises en place en aviculture par exemple, ou qui peuvent vendre un produit de la ferme avec qualité.
Il y a les questions de financement auxquelles les jeunes sont souvent confrontés. Quel est votre avis sur cela ?
Il y a trente (30) ans, j’ai démarré à 0 frs. A mon époque, il n’y avait pas ces nouveaux des outils performants de financement qu’il y a aujourd’hui tels que le crowdfunding et l’equity fund. Certes, ce sont des concepts à adapter à notre environnement, mais les jeunes ne doivent plus se cantonner et dire simplement : ‘Ah !, oui, mais on n’a pas les moyens et on ne peut rien faire’.
Aujourd’hui, nous sommes à l’ère du numérique, où il y a le smartphone, il y a des GPS et qui offrent un certain nombre de raccourcis pour l’agriculture. Il ne faut plus rester dans le paradigme de la houe, de la daba comme avant.
Nous assistons à une conférence internationale sur la croissance économique dans la zone UEMOA dans laquelle vous êtes le président de la Chambre Consulaire Régionale. Dans quels domaines inviteriez-vous les jeunes à s’aventurer pour cette croissance ?
Tous les domaines. J’ai l’habitude de dire que l’Afrique n’est pas à reconstruire, elle est en construction. Elle était là au commencement. Quand on parle de civilisations, elles sont parties d’où ?, de l’Afrique. Certes, notre continent a perdu du chemin, au gré de l’évolution du monde et des avatars divers, mais aujourd’hui la jeunesse de notre continent est un atout. Vous avez à peu près 60 % de la population qui a en dessous de 30 ans. La question est comment on forme cette jeunesse-là pour l’amener à être dans cette dynamique de construction ?
Donc, au cours de ces rencontres, l’objectif est de poser les bases et les réflexions sur comment on finance ce continent d’avenir ?, à quels taux ?, etc., le tout en plaçant les jeunes au cœur de nos réflexions et actions.
Au cours des échanges, vous aviez parlé du concept de l’économie solidaire. Eclairez-nous davantage sur ce concept ?
L’économie solidaire n’a rien à voir avec de la complaisance ou de l’aide au développement que nous avions connue jusque-là et qui ne produit rien en termes de développement du continent.
Pourquoi cette thèse ? C’est parce qu’en réalité, nous sommes tous embarqués sur le même navire qu’est la terre. Si l’Afrique chute, toute la terre chute. Il faut le comprendre comme ça. Nous avons les voyants aujourd’hui en l’occurrence l’immigration clandestine, l’esclavage en Lybie. Ces problèmes existaient, on faisait semblant de ne pas les voir. Maintenant, on se réveille, tant mieux ! Mais le fondement de cette situation, c’est qu’on a mis l’Afrique à la périphérie du monde. Pourtant, elle est plus riche, elle est plus dynamique.
Dans 30 ans, l’Afrique va doubler de population, on fait comment ?, il faut la financer avec des outils appropriés. Ce sont des questionnements qui me font travailler sur la thèse de l’économie de solidarité. Nous sommes tous embarqués, vous pouvez essayer de construire des murs du style de la Tour de Babel, mais ça ne changera rien du tout. L’Homme reste l’Homme qu’il soit noir, blanc, jaune et nous devons travailler pour notre co-développement.
Monsieur le président Jean-Baptiste Satchivi, un message à l’endroit des jeunes africains ?
Notre jeunesse ne dort pas. Elle n’est pas paresseuse. Nous le constatons de par leur leadership et engagement à travers le monde. Pourquoi voudraient-ils immigrer si ce n’est pas avant tout pour la recherche d’un mieux-disant ? Nous devons travailler ensemble pour renverser la tendance de cette image misérabiliste de notre continent, et mettre en exergue nos richesses pour que notre jeunesse développe plutôt son sérail qu’est l’Afrique. Si nous le faisons, on aura gagné.
Je vous remercie.