L’histoire du patron d’Alibaba
Alibaba, Le géant chinois du commerce en ligne a fait des débuts en Bourse en fanfare. Le prix de l’action du géant chinois de la distribution sur Internet s’est envolé de plus de 38 %, à 93,89 dollars, vendredi 19 septembre pour sa première séance de cotation à la Bourse de New York, au cours de la plus grosse introduction boursière de l’histoire. Alibaba a ainsi réussi à lever un peu plus de 25 milliards de dollars et s’est hissée directement au 10e rang des plus grosses capitalisations de la Bourse new-yorkaise devant Walmart et pèse désormais plus que eBay et Amazon réunis.
Mais à qui doit-on tout cela ?
Derrière le grand succès de l’ère numérique que constitue Alibaba, il y a un homme de 48 ans: Jack Ma Yun, son fondateur. Certains le comparent à Steve Jobs, d’autres à Bill Gates. L’intéressé, lui, se sent des affinités avec Forrest Gump, cet étourdi obsédé par la pêche aux crevettes.
Dans le Guide officiel du succès, sur Alibaba.com, l’entrepreneur star de la Chine se trouve des points communs avec le héros incarné par Tom Hanks : « Forrest Gump n’est pas un type intelligent, mais il est obstiné. Il n’est pas talentueux mais très, très travailleur. Et il est simple et opportuniste. »
Dans le cas de Jack Ma, nul ne doute toutefois de l’intelligence de l’homme qui domine l’ensemble du commerce en ligne en Chine.
Aujourd’hui, M. Ma a pris un peu de champ par rapport à son « bébé ». Le 10 mai 2013, alors que son site le plus emblématique, celui de vente aux particuliers, Taobao (« La chasse aux trésors »), fêtait son dixième anniversaire, il avait abandonné ses fonctions de directeur général d’Alibaba.
A 48 ans, il avait décidé de prendre ses distances d’Alibaba après avoir gagné 3,4 milliards de dollars, selon le magazine américain Forbes. Néanmoins, il a continué à suivre la destinée de son groupe dont il est resté le Président.
Ma Yun vient d’une famille modeste. Ses jeunes années sont marquées par la Révolution culturelle. Il est maigrichon mais bagarreur et ne craint pas les défis. « Je n’avais jamais peur des ennemis plus grands que moi », se souviendra-t-il plus tard.
Il échoue par deux fois à entrer à l’université, se voit refuser des jobs dans l’hôtellerie à cause de sa petite taille. Professeur d’anglais pendant cinq ans dans un institut d’électronique de Hangzhou, capitale de sa province natale Zhejiang, il monte en 1994 une agence de traduction comme il en existe une multitude en Chine, baptisée Haibo.
La découverte d’internet
C’est grâce à son niveau d’anglais qu’il accompagne une délégation d’officiels à Seattle, aux Etats-Unis, en 1995. Il s’agit de négocier avec un investisseur américain la construction d’une autoroute. Ce voyage sera initiatique.
M. Ma y découvre Internet. Il effectue une première requête sur un moteur de recherche, les mots « bière » et « Chine ». Aucun résultat.
De retour à Hangzhou, il a acquis la conviction que la Chine ne peut pas passer à côté du Web. « Je ne comprenais pas de quoi il parlait. Il pensait qu’Internet représentait l’avenir de notre société et le répétait autour de lui », se souvient Zhang Hong, une amie rencontrée en 1993. Elle est alors son étudiante mais reprendra plus tard l’agence de traduction.
Jack Ma lance alors Chinapages, un service de pages jaunes en ligne qui ne rencontrera pas le succès escompté et qu’il abandonne en 1997. Le ministère du commerce lui propose de participer à la création de sites facilitant les affaires. Il monte à Pékin, où il est rejoint par certains anciens élèves.
C’est en 1999, après quelques années passées dans la capitale, qu’il crée, dans sa province d’origine, Alibaba, un site mettant en relation les entreprises avec les fournisseurs adaptés.
Le site est lancé depuis un petit appartement, avec dix-sept collaborateurs dont Trudy Dai, aujourd’hui vice-présidente chargée des ressources humaines de ce groupe de 24 000 employés : « Alibabaest une entreprise guidée par sa mission, avec à sa tête un groupe de personnes qui partagent le même rêve et la même vision. »
Alibaba est un succès, porté par l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce. Mais Jack Ma a déjà un autre projet, un site pour les particuliers.
Devant un parterre de pros de la Silicon Valley, à Stanford, en octobre 2011, le petit homme au visage émacié et en polo jaune rentré dans le pantalon se souvient des réactions à l’époque : « Tout le monde m’a dit “Oh mon dieu! Tu vas entrer sur le terrain d’eBay”. J’ai répondu : “Et pourquoi pas ?” »
Résultat : sur seize millions de colis livrés chaque jour en Chine, dix millions ont été commandés sur Taobao ou sa version destinée aux grandes marques, Tmall.
Jack Ma sait que les Chinois ne cherchent pas à gagner un produit aux enchères mais plutôt à dénicher les bonnes affaires. Et il ne ponctionne pas les petits commerçants pour leur donner accès à la plateforme.
« Ce que les Chinois admirent chez lui, c’est son caractère pionnier au service des besoins populaires », juge Liu Shiying, son biographe. Pour le consommateur qui craint de se faire voler en payant en ligne, il crée Alipay, un système de blocage du versement sur un compte tiers.
Le héros venu d’en bas a su écarter de Chine les géants eBay et PayPal et il se targue de « soutenir plus de 50 millions de PME » grâce à ses plateformes.
Avant de prendre, l’an dernier, ses distances avec les commandes au jour le jour d’Alibaba, M. Ma avait déjà, en 2012, passé une majeure partie de son temps aux Etats-Unis pour « penser, se relaxer, reprendre le golf ».
Alors qu’il incarne le rêve chinois, lui a son rêve américain : « Il admire cette ouverture qui conduit à l’innovation », pense Orville Schell. Cet ami estime qu’en vieillissant, M. Ma se pose des questions sur le sens des choses.
« Jack est quelqu’un qui cherche toujours à inventer le prochain chapitre de sa vie, dit M. Schell. Comme beaucoup de ces gens qui sont dans une quête, son objectif n’est pas clair, pas explicite, il ne peut tout simplement pas tenir en place. »