Depuis un moment, surtout 2016, je suis moins présent sur le plan politique, publiant plus les récits de la mise en place de la Ferme Ecole de Siou. Près de 150 ha, 15 employés, 6 sous-projets de production (volailles, porcs, lapins, maraîchage, pisciculture, agriculture générale) et une école de formation aux métiers agricoles qui sera mise en place dès 2017.
Parallèlement, j’ai lancé Brig, une ONG pour l’entrepreneuriat agricole, l’écologie et les microcrédits. Ils sont 9, à y travailler actuellement, avec certes des stagiaires.
En 2012, j’avais aussi lancé une agence de tourisme, que j’ai dû fermer faute de touristes, et aujourd’hui, les constructions que nous avions faites à l’époque pour ce projet, nous essayons de les adapter aux nouveaux challenges.
Ceci pour dire que je bouge beaucoup, je fais presque tous les mois le tour de notre pays, rencontrant autrefois des promoteurs touristiques, ensuite les militants politiques, et aujourd’hui, des fermiers.
Voici mes vérités citoyennes.
La première est que la solidarité a de nouveau un vrai sens dans notre pays entre passionnés. Je me souviens que dans les années 96, quand je faisais le tour des fermes à la recherche d’un travail, je rencontrais que des visages graves, fermés. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes s’engagent dans l’aventure agricole. Qu’il s’appelle Eric, David, Maurice, Koudjow, Victor, Kekeli, Georges Sanvee, Papson, ou Bali, le nouveau type de Togolais est ouvert et altruiste, je précise, entre passionnés. Qu’il habite Massédéna, Siou, Awandjelo, Baguida, Avepodzo ou Badja, il y a une ouverture d’esprit et un sens de partage exemplaires chez les agriculteurs et les Togolais en général. C’est le meilleur acquis pour l’avenir et ceci va contre les clichés qu’on nous tend tous les jours. Il n’y a de frontières ni linguistiques, ni régionales, quand vous avez la même passion.
La seconde est qu’une bonne partie de la jeunesse n’est pas encore au rendez-vous du marché du travail. Tout le monde gémit qu’il n’y a pas de travail, mais quand vous leur demandez ce qu’ils veulent faire, ils vous tendent les dossiers. Il y a aujourd’hui plusieurs projets intéressants, certes parfois limités, mais qui ont le mérite d’exister. Quand vous leur demandez s’ils connaissent l’existence de l’AJSEF, du FAEJ, de l’ANPJF, de l’ANPE, ils vous répondent qu’il faut être du pouvoir avant de bénéficier du financement. Ce qui évidement est faux. Même parfois quand vous leur demandez ce qu’ils feraient par exemple d’un million de FCFA s’ils l’avaient, en dehors d’acheter des taxis moto, il y a peu de propositions. Je connais aujourd’hui des jeunes qui ont vendu lapins, poulets, pigeons, moutons et chèvres pour financer leurs études. Et ces jeunes aujourd’hui, ont vite trouvé un travail à la sortie des études. Le problème aujourd’hui est que notre jeunesse est désespérée avant d’avoir essayé quoi que ce soit. Et la majeure partie est obsédée par les facilités de la vie moderne, au détriment de l’essentiel. Manque de rigueur, exigences salariales disproportionnées par rapport au rendement, et surtout, horreur du monde rural, quand il n’y a pas la 3G.
La troisième est que le monde paysan ne réussira pas la révolution agricole toute seule. Les paysans ne sont ni dans le consumérisme, ni dans la gestion du temps. Le temps est leur propriété, et leur meilleur bénéfice en affaire est la paix avec la communauté, ce qui est tout à l’opposé de ce qu’on demande à un entrepreneur. L’inventivité s’est figée dans la roche au village. La prospection et la gestion économique sont des notions anachroniques chez la majeure partie de nos paysans. La subvention de l’engrais par exemple a fait augmenter les rendements. Mais le jour où cette subvention cessera, on reviendra aux rendements précédents, alors qu’un entrepreneur cherchera d’autres moyens pour maintenir son chiffre d’affaires. Les jeunes paysans dynamiques que je rencontre font tout pour éviter d’être remarqués dans leur communauté, du fait surtout des superstitions, et du nivellement par le bas propre à chaque village. Notre secteur primaire ne décollera que lorsque les jeunes diplômés envahiront les campagnes, avec en main la bible du développement durable.
Voilà mes vérités citoyennes à moi.
En conclusion, nous avons de quoi réussir individuellement dans ce pays. Une économie libérale, une liberté de circulation et d’expression suffisante, un système fiscal à revoir, même s’il existe des mailles, et une batterie de mesures d’aides à l’entrepreneuriat des jeunes. Certes, une minorité accapare les richesses de ce pays, mais dès qu’on cesse d’y penser, on peut creuser son trou et y puiser son eau. Peut-être que si chacun creuse son trou, ça finira en oasis.
Ce pays reste un formidable marché d’opportunités, mais il faut, comme au far west, se retrousser les manches et travailler dur pour y arriver, intelligemment. Tous les jeunes industrieux que j’ai connus depuis mon départ de l’armée sont aujourd’hui tous casés. Sois dans de grandes entreprises, soit à leur compte.
Sois malin, toi qui lis ces mots. Choisis de hennir, au lieu de gémir. Trouve-toi une idée, et commence à la réaliser. Quel que soit le Dieu à qui tu crois, Il t’accompagnera et ton rêve se réalisera. Et si tu échoues une fois, essaie autre chose ; la meilleure façon de réussir humainement est d’échouer plusieurs fois. L’absence de rêves, de grands rêves, c’est ce qui nous tue dans ce pays.
Gerry Taama