Le Népal traverse une crise politique sans précédent. En moins de 48 heures, le pays himalayen de 30 millions d’habitants a basculé dans le chaos. Le parlement a brûlé, le premier ministre a démissionné et la rue s’est embrasée.
Tout commence lundi 8 septembre avec des manifestations contre le blocage des réseaux sociaux. La police népalaise a ouvert le feu sur des milliers de manifestants qui défilaient dans les rues pour exiger la fin du blocage des réseaux sociaux et dénoncer la corruption des élites. Le bilan est lourd : 19 morts et plusieurs centaines de blessés.
Le gouvernement de KP Sharma Oli avait bloqué les réseaux sociaux jeudi précédent. Cette décision appliquait un arrêt de la Cour suprême rendu en 2023. Face à la colère populaire, le premier ministre a rapidement fait marche arrière. Il a ordonné la réouverture des plateformes et promis une enquête « indépendante » sur l’intervention policière.

Mais cette tentative d’apaisement n’a pas calmé la rue. Au contraire, la colère s’est amplifiée mardi 9 septembre. Des centaines de manifestants ont envahi le complexe parlementaire au cœur de Katmandou. « Des centaines de personnes ont investi l’enceinte du Parlement et mis le feu au bâtiment principal », confirme Ekram Giri, porte-parole du secrétariat parlementaire selon l’AFP.
Les violences se sont étendues à toute la capitale malgré le couvre-feu instauré le matin. Des groupes de jeunes manifestants s’en sont pris aux bâtiments publics et aux résidences politiques. Le domicile du premier ministre a lui aussi été incendié par les protestataires.
La situation a pris une tournure dramatique quand des manifestants ont réussi à s’emparer d’armes à feu. Ils ont désarmé des policiers chargés de protéger le complexe gouvernemental de Singha Durbar. Cette escalade a montré la perte de contrôle totale des forces de l’ordre.
Face à ce déferlement de violence, KP Sharma Oli a capitulé. À la mi-journée, le chef du gouvernement de 73 ans a annoncé sa démission. Dans une lettre au président népalais, il explique que cette décision vise à permettre « que des mesures puissent être prises en vue d’une solution politique ».
Les médias n’ont pas été épargnés par les violences. Reporters sans frontières (RSF) a indiqué que le siège d’un important groupe de presse, Kantipur, avait été incendié et a appelé les manifestants à « ne pas prendre pour cible les journalistes » selon ONU Info.
Des ministres ont également été pris pour cible. Une vidéo non vérifiée semble montrer des manifestants frappant l’ancien premier ministre Sher Bahadur Deuba du Congrès népalais. Ce dernier soutenait le gouvernement d’Oli, ce qui explique cette agression.
L’optimisme règne chez les manifestants. « Le gouvernement est tombé, les jeunes ont gagné et pris le contrôle du pays », se réjouit Sudan Gurung, un protestataire. « L’avenir est à nous ! », lance-t-il, brandissant le drapeau national.
Cette crise révèle la profonde fracture entre une population jeune et des élites politiques vieillissantes. Les manifestations ont largement viré à la dénonciation de la corruption des autorités. « Nous dénonçons aussi la corruption institutionnalisée au Népal », a déclaré lundi à l’AFP un étudiant, Yujan Rajbhandari, 24 ans selon Le Temps.
KP Sharma Oli incarne cette vieille garde politique. Présent depuis plus de 60 ans dans la vie politique népalaise, il a traversé la longue guerre civile jusqu’à l’abolition de la monarchie en 2008. Premier ministre pour la première fois en 2015, il a été réélu en 2018, brièvement renommé en 2021, puis réinvesti en 2024.
Sa démission entraîne celle de trois autres ministres, dont celui de l’Intérieur. Cette cascade de départs témoigne de l’effondrement du gouvernement face à la pression de la rue.
L’aéroport de Katmandou reste ouvert mais plusieurs vols ont été annulés. La fumée des incendies réduit la visibilité, compliquant les opérations aériennes selon Rinji Sherpa, porte-parole de l’aéroport.
La communauté internationale s’inquiète de cette escalade. Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit « consterné par l’escalade de la violence » et a appelé au dialogue selon ONU Info.
Le président Ramchandra Paudel tente de calmer le jeu. Dans un communiqué mardi soir, il exhorte « tout le monde, y compris les manifestants, à coopérer pour une résolution pacifique de la situation difficile du pays ». Il lance « un appel à toutes les parties pour qu’elles fassent preuve de retenue et qu’elles entament des négociations ».
L’Inde voisine surveille attentivement la situation. Le premier ministre Narendra Modi déclare que « la stabilité, la paix et la prospérité du Népal sont d’une importance capitale pour nous ». Cette inquiétude reflète les liens étroits entre les deux pays.
Des voix appellent déjà à un renouveau politique. Balendra Shah, maire de Katmandou de 35 ans et ancien rappeur, est vu comme une figure d’avenir. Sur Facebook, il invite la jeune génération à « prendre les rênes du pays » en demandant à tous d’être « prêts ».
Ashish Pradhan de l’International Crisis Group insiste sur l’urgence. Il appelle à un « arrangement transitoire au plus vite qui inclura des figures qui restent crédibles auprès des Népalais, en particulier auprès des jeunes ».
L’avenir reste incertain pour ce pays coincé entre l’Inde et la Chine. Le Népal doit trouver rapidement une solution politique pour éviter un chaos prolongé. La jeunesse a montré sa force, reste à voir si elle saura proposer une alternative crédible aux vieilles élites discréditées.