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Nicolás Berlanga-Martínez, ‘Les Togolais que nous croisons partout (…) leurs visages ne sont pas ceux de la haine, mais plutôt du désir de paix’

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Nicolás Berlanga-Martínez, ‘Les Togolais que nous croisons partout (…) leurs visages ne sont pas ceux de la haine, mais plutôt du désir de paix’
Nicolás Berlanga-Martínez

Nicolás Berlanga-Martínez, Ambassadeur de l’UE au Togo : discours pour le jour de l’Europe 2016, ce lundi 9 mai

Chers citoyens européens au Togo, chers togolais amis de l’Europe, bienvenus une année de plus à la résidence de l’Europe à Lomé.

Je voudrais commencer mon intervention en remerciant toute l’équipe de la Délégation et tous ceux qui rendent possible la réception de ce soir et les autres évènements que nous organisons autour du jour de l’Europe 2016, comme la visite de lycées aux projets de développement et le forum de femmes sous le thème « La contribution des femmes et la cohésion nationale ».

Formellement ce soir nous célébrons le 66ème anniversaire de la « déclaration Schumann », le texte qui marque le lancement d’un projet d’avenir commun qui consolide la paix, la prospérité et la démocratie sur notre continent.

Comme un clin d’œil pour l’histoire récente du Togo, la « déclaration Schumann » bannissait la nostalgie, évitait de se tourner exagérément vers le passé pour se lancer vers l’avenir. Elle ne voulait pas que les morts de la guerre décident du futur de ceux qui étaient en vie.

Depuis l’année dernière, les faits ont confirmé que les atteintes à la sécurité, notamment le terrorisme et le radicalisme, constituent des épées de Damoclès devant lesquelles nous devons montrer une mentalité ferme d’action, en travaillant collectivement. Chers amis togolais, l’Union européenne est profondément choquée et en deuil après les attaques terroristes de Paris, Bamako, Bruxelles ou Abidjan. Il s’agit des attaques contre nous tous, Africains et Européens. Nous ferons face à cette menace ensemble, avec tous les moyens nécessaires et une détermination sans faille.

Nous ne devons pas ignorer non plus que la crise économique et les défis posés par les conflits au-delà de nos frontières ont aussi déclenché ces dernières années des réflexes identitaires, des impulsions de repli en Europe.

Pourtant, le projet européen demeure toujours notre meilleur atout pour y donner une réponse de manière efficace aux crises. Le projet européen nous fait plus forts, plus respectueux de notre diversité et à la fois plus solidaires avec nos voisins. Malgré toutes les difficultés, l’Union européenne reste le projet d’intégration régionale le plus réussie de l’histoire contemporaine et l’espace au monde avec plus de liberté pour opiner, pour aimer, pour se déplacer, pour prier ou ne pas prier, pour voter et choisir notre destin. Le patriotisme européen devient par conséquent et avant tout celui d’une expression de partage de souveraineté qui aspire à réunir des individus autour d’un modèle de société et non à organiser des masses derrière un drapeau. Ces idées, chers concitoyens européens, nous sommes convaincus, persistent toujours. Oui, nous avons des raisons valables pour fêter le 9 mai.

Comme votre voisin et partenaire, nous pensons que l’Afrique doit elle aussi faire face aux grands défis. La croissance et le rythme de réduction de la pauvreté doivent être renforcés et en bénéficier à tous davantage. Cela nécessitera plus d’écoles, plus d’infrastructures, de meilleures conditions pour faire des affaires et plus d’investissements. Il réclame mettre un terme aux conflits et aux guerres civiles. Il faudra également des démocraties plus fortes.

Ces défis auxquels vous êtes confrontés, vous n’allez pas y faire face seuls. Vos défis sont les nôtres. La diplomatie européenne édifiée tout au long des dernières décennies, libérée du lourd fardeau du passé, est déterminée à explorer notre avenir commun d’une manière pragmatique et responsable.

Et si nous, Européens, voulons vraiment ouvrir un nouveau chapitre, nous ne devrions pas nous demander ce que nous pouvons faire pour l’Afrique. La bonne question à se poser est plutôt : que pouvons-nous faire avec l’Afrique?

Dans cet esprit de partenariat, Monsieur le ministre, Mesdames et Messieurs,

Que veut faire l’Union européenne avec le Togo ?

Permettez-moi d’esquisser quelques exemples.

La semaine du 27 avril, le Président de la République a procédé à l’inauguration de grands ouvrages : une aérogare flambant neuve qui va certainement impacter positivement le nombre d’arrivées, un hôtel haut de gamme nécessaire pour couvrir un créneau du marché propice à des rencontres et à des sommets internationaux, et finalement les travaux pour l’aménagement du 4ème lac et la construction d’un système d’assainissement dans des quartiers périphériques à Lomé, habités par 300.000 personnes et où l’accès aux services publics n’est pas encore suffisant.

Nous sommes reconnaissants et satisfaits d’associer le nom de l’Union européenne à cette dernière action à fort contenu social qui montre un partenariat caractérisé par des travaux financés avec les dons des citoyens européens à la hauteur de 43 millions d’euro (c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de contrepartie financière de l’état togolais), et qui seront réalisés par un consortium d’entreprises européennes et togolaises qui ont été sélectionnés suite à un processus concurrentiel transparent avec la maitrise de l’Agence française de développement. Cet engagement reflète surtout notre priorité de répondre aux besoins de base d’une tranche de population défavorisée.

L’Union européenne avec le Togo.

Un autre exemple : On a tendance parfois à oublier l’importance de la compétence et de la formation, l’aspect humain essentiel pour le progrès. Nous investissons autant d’effort et d’intérêt dans ces actions qualitatives que dans la construction d’infrastructures, si flamboyantes qu’elles puissent être.

A cet égard, le partenariat européen comprend un travail discret et patient pour le renforcement des capacités de l’administration (ministère de la justice, du plan, de l’économie, de l’eau et de l’assainissement, bientôt de l’énergie, la nouvelle école de police, etc.), pour la formation des planificateurs dans les différents ministères,  pour accompagner l’institut national de la statistique et des études économiques et démographiques – INSEED – afin qu’il  serve d’outil à la prise des décisions politiques, enfin pour améliorer la transparence dans la gestion des finances publiques de telle sorte que les ressources propres soient maximisées pour rendre plus efficaces les services publics sur tout le territoire.

L’Union européenne avec le Togo.

Là encore il s’agit d’un dernier exemple quand nous venons de clôturer un projet d’appui à la société civile, actif pendant 5 ans, et connu sous le nom de PASCRENA.  Tout au long ses années d’activité, il a appuyé financièrement et accompagné la « Commission vérité, justice et réconciliation » du début à la fin de sa mission, et a aussi soutenu plus d’une centaine d’actions, par exemple pour l’amélioration de l’accès des femmes aux terres cultivables, pour outiller la chefferie traditionnelle à la résolution de conflits, pour rétablir les personnes handicapées dans leurs droits, pour encourager la participation des comités de quartiers dans la gestion des communes, pour la formation au civisme et à la veille citoyenne avant les élections, etc.

PASCRENA a été un instrument central de notre « diplomatie de proximité », pour que, au-delà des tâches traditionnelles de représentation, nous puissions faciliter les débats publics qui jalonnent la société togolaise, pour affermir les actions des acteurs du milieu d’affaires, des médias, des universités, des organisations non étatiques qui contribuent à développer l’opinion publique et par conséquent sont des « moteurs d’avenir »…par conséquent à faire devenir normal dans le débat public ce qui l’est déjà dans les rues des villages et des villes au Togo…dans le respect, que le dialogue rationnel et adéquat conduit avec justice vers la solution des problèmes économiques, politiques et sociaux les plus pressants. Nous sommes convaincus, par ce que notre propre histoire nous le confirme, que le dialogue en continu, qui remplace l’affrontement par le débat, qui surmonte les différences par les accords, est l’expression la plus honnête de la politique.

Prenons comme exemple la discussion sur la décentralisation qui s’est bien implanté ces derniers mois et où la volonté politique semble plus raffermie que jamais à transformer la réflexion en action.  Nous nous réjouissons de ces pas en avant et nous encourageons tous les acteurs, les « moteurs d’avenir », à contribuer chacun dans son rôle à cette discussion dans un esprit où l’intérêt national prime sur la méfiance, et en évitant l’aveuglement intellectuel consistant à penser que quelqu’un est le seul dépositaire de la raison.

Pour son esprit constructif, nous saluons la récente Lettre pastorale de la conférence des évêques du Togo qui a montré le chemin pour atteindre des réponses à la série de questions raisonnables et cruciales qui se connectent avec la majorité sociale du Togo.

Ceux qui, de tous bords, penseraient qu’il vaut mieux temporiser, qui spéculeraient pour que l’immobilisme favorise leurs intérêts politiques ou économiques, qui décideraient de traiter la question de la décentralisation comme une affaire partisane, risquent de s’installer dans  la nostalgie paralysante du passé donnant des solutions d’antan à des problèmes d’aujourd’hui.

Les apports des uns et des autres, un débat citoyen responsable, contribueront à chercher les réponses adéquates et les plus proches de la vie quotidienne des hommes et des femmes, s’agissant surtout de l’accès aux services publics de base et de la participation à un système démocratique qui doit viser un juste équilibre entre les compétences à décentraliser et les compétences régaliennes assurant la cohésion sociale et la sécurité de l’état. Ceci est d’autant plus vrai au regard des menaces barbares de l’époque tourmentée que nous traversons.

La diversité des opinions devrait par conséquent accompagner le processus de décentralisation aidant à diluer les inerties identitaires, parfois pernicieuses, et participer à l’émergence d’une conscience nationale togolaise composée des citoyens.

Je l’avais déjà dit l’année dernière après les élections présidentielles de 2015: les Togolais que nous croisons partout (les éleveurs de Koundjouré, les femmes de Dapaong, le personnel de l’hôpital à Mango ou à Niamtougou, les jeunes universitaires à Kara, les prisonniers de la prison de Sokodé, les ouvriers des mines de fer à Bangelí ou de marbre à Pagalá, les nouveaux préfets, les travailleurs de la TDE à Notsé, les habitants des quartiers à Lomé de Baguida, Kanyikopé, Akodéssewa ou Anfamé bénéficiaries du 4ème lac) leurs visages ne sont pas ceux de la haine, mais plutôt du désir de paix. Hommes et femmes, jeunes et personnes âgés, expriment un refus de l’extrémisme. Ils ne cachent pas pour autant le malheur d’un accès limité à la santé, l’adversité de ressources insuffisantes pour l’éducation, le scepticisme vers une justice éloignée, ou le désespoir face au manque d’opportunités. C’est ici que l’on voit que démocratie et développement économique se rejoignent.

Ce soir nous fêtons surtout une manière de faire de l’Europe dans le monde qui offre notre solidarité dans la recherche des solutions et qui encourage le partage des regards d’espoir pour renforcer  l’amitié entre les hommes et femmes du Togo et de l’Europe.

Vive l’avenir du Togo ! Longue vie à notre partenariat !