Vendredi 5 octobre 2018, à Washington D.C, le Secrétariat d’Etat américain, récompense de l’« Award for Corporate Excellence », catégorie « Autonomisation des femmes », Alaffia, une société basée à Olympia dans l’Etat de Washington et présente au Togo.
Un peu plus tôt dans la journée, c’est à la Maison Blanche, à quelques pas du Bureau Ovale, que les fondateurs d’Alaffia ont été reçus par Ivanka Trump, la fille du Président américain qui dirige une initiative mondiale dotée de 1 milliard $, dédiée à l’autonomisation économique des femmes.
Le prestigieux prix annuel, créé en 1999, récompense les entreprises exceptionnelles qui respectent des normes élevées en matière de conduite responsable et selon les valeurs américaines.
Alaffia, comme le salut ou l’adieu usuel, dans le patois du centre du Togo ou du Bénin et du Nigéria. Alaffia, comme ce mot qui désigne aussi bien un état de paix, de santé, que de bien-être.
Alaffia, c’est la société de fabrication de produits cosmétiques à base de noix de karité, d’huile de noix de coco ou d’autres plantes et essences, importées du Togo et de quelques autres pays ouest-africains.
Les matières une fois arrivées à destination, sont traitées et transformées à l’usine pour produire des savons, des huiles, des pommades, des shampooings, des lotions, des crèmes.
Toute une gamme de produits destinés à des soins du visage, du corps, des cheveux, tant pour les bébés et enfants que pour les adultes.
Si en cet automne 2018, le Secrétariat d’Etat américain porte au pinacle Alaffia, ce n’est pas tant pour son chiffre d’affaires annuel, estimé à 50 millions $, ou pour sa quasi omniprésence dans les rayons des grandes chaînes de distributions, supermarchés, magasins et pharmacies américaines.
Alaffia, c’est une mission assumée de promouvoir le commerce équitable, l’autonomisation économique des femmes, l’amélioration de la santé maternelle et infantile, la promotion de l’éducation, la protection de l’environnement, le développement social en Afrique et spécialement au Togo.
Alaffia, c’est surtout l’histoire d’un homme au destin particulier, parti du néant et qui aujourd’hui, appose l’étoile qui orne le drapeau togolais, aux côtés des 50 qui scintillent sur la bannière étoilée : Olowo-n’djo Tchala.
Des débuts compliqués…
Olowo-n’djo Tchala naît en 1976 à Kaboli, une bourgade située dans la préfecture de Tchamba, Région Centrale du Togo. 416 km de Lomé. 6h de route.
Les conditions de vie sont rudes. Avec sa mère et ses sept frères et sœurs, le jeune partage une petite case aux dimensions étriquées. « Nous avons grandi dans une chambre de 8 pieds sur 10 (environ 2m sur 3, ndlr). Quand le soleil est levé, vous savez qu’il est temps de travailler, lorsqu’il se couche, il est temps d’aller dormir », raconte-t-il. Tchala suit des cours jusqu’en classe de sixième, puis, faute de moyens, décroche.
Il aide alors sa mère dans sa ferme, puis devient successivement, cultivateur de riz, de haricots et d’ignames, au gré du temps.
Rose Prairie, coup de foudre… et de baguette magique !
On est en 1996. Cette année-là, les Jeux Olympiques se déroulent à Atlanta, au pays de l’Oncle Sam. Rêves et exploits les plus fous, performances athlétiques les plus inattendues.
Tchala, 20 ans, est bien loin de toute cette fièvre. Pourtant, un nouveau départ, totalement inattendu, va poindre à l’horizon.
Il prend la silhouette de Rose Hyde, jeune américaine, volontaire du Peace Corps.
La jeune femme est en mission à Kaboli pour conseiller les agriculteurs. Le jeune kotokoli squatte les champs. Très vite, les deux s’éprennent l’un de l’autre et à la fin du service de Rose en 1999, le couple s’envole pour les Etats Unis.
Pas de rang d’observation. Tchala entame des cours d’anglais et décroche peu après un diplôme en théorie des organisations. Rose, de son côté, entreprend des études supérieures en développement agricole international et en ethnobotanique.
Le Togolais, encore très attaché à ses racines, décide alors de monter une affaire qui impliquerait surtout les siens, restés au pays.
Il songe à créer des coopératives au pays, qui emploieraient en grande majorité des femmes, ce qui impacterait directement des familles et réduirait la pauvreté. Olowo-n’djo sollicite donc un prêt commercial de 50 000 $, soit près de 30 millions FCFA. Refus de la banque.
Là encore, la providence est au rendez-vous : le frère de Rose offre sa maison en garantie, et le financement est débloqué.
Tchala et son épouse reviennent alors au Togo et fondent la première coopérative réunissant des femmes qui se chargeront de cueillir, collecter et exporter des noix de karité et d’autres produits naturels vers les Etats Unis.
Alaffia, le commerce équitable, l’humanisme…
En 2003, Alaffia voit le jour dans le garage de leur maison à Olympia, où le couple a aménagé peu de temps avant.
Le beurre et l’huile de karité, fabriqués de façon traditionnelle au Togo, raffinés et emballés aux USA, sont prêts à être commercialisés.
Tchala tente d’écouler ses premières productions. Parkings de supermarchés, aires de stationnement, stations de bus, le Togolais se mue en vendeur à la sauvette.
Il finit par signer un accord avec un détaillant qui se charge de la distribution dans de petits magasins. Un géant américain et mondial de l’agro-bio, Whole Foods Market s’y associe, d’abord dans le nord de la Californie, puis à l’échelle fédérale.
Très vite, la demande s’envole et Alaffia prend une dimension insoupçonnée, au point où en 2012, 9 ans après avoir démarré, les ventes génèrent près de 10 millions $ sur l’année. Le Togolais met le cap sur l’expansion.
Au Togo où tout a commencé, Tchala installe une usine à Sokodé et élargit la coopérative du karité. Des cueilleurs et des femmes, du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire rejoignent la coopérative.
La success-story et les lauriers…
Tchala et Rose décident alors d’implanter le siège de l’entreprise à Turnwater dans l’Etat de Washington. A l’intérieur, ils y érigent une usine de fabrication et un laboratoire dans lequel Rose concocte elle-même certains parfums et senteurs.
Aujourd’hui, 145 personnes y raffinent, emballent et expédient partout sur le territoire américain et dans une dizaine de pays, les produits certifiés « Fair for Life » par ECOCERT, l’un des organismes internationaux les plus renommés en matière de responsabilité du commerce biologique et équitable.
Entre-temps, Alaffia est devenu un véritable modèle d’entrepreneuriat social.
« Qu’y-a-t-il à être un être humain si nous ne pouvons pas contribuer à un autre être », répond Tchala quand on lui demande le sens de son engagement pour le social.
700 femmes dans les zones rurales sont directement employées avec un salaire correspondant à 4 fois le revenu familial moyen togolais.
Plus de 14 000 personnes en Afrique de l’Ouest, dont des « cueilleurs », majoritairement des femmes, sont employées contractuellement en tant que fournisseurs par Olowo-n’djo.
A ces chiffres déjà impressionnants, s’ajoute une cohorte de réalisations sociales entreprises dans son pays d’origine.
Tchala, très influencé par sa mère, Ina Agbanga, décédée en 2016, consacre 15% de son chiffre d’affaires à des projets communautaires.
« Elle m’a aidé à voir la souffrance de beaucoup, et cette souffrance est la raison pour laquelle nous faisons ce que nous faisons aujourd’hui » s’émeut-il.
Tchala a connu des difficultés dans son parcours scolaire et s’est engagé résolument à « aider autant qu’il peut, tous ceux qu’il pourra ». 12 écoles construites, 2311 bancs scolaires offerts, 34 640 bénéficiaires d’approvisionnement scolaire, un centre culturel construit. « Seulement 9% des filles dans les régions rurales du Togo réussissent l’école secondaire », écrivait-il dans une lettre en 2010.
« L’un des plus grands contributeurs à ce taux élevé de décrochage est la distance que ces filles doivent parcourir pour aller à l’école », reconnaissait-il. Résultat, 8253 vélos distribués dans le cadre du programme « bicycles for education ».
Sur le plan de la santé, Tchala et Rose ont permis à travers leurs dons, d’assister 4832 naissances et de mettre les bébés en sécurité. Le couple a également financé des campagnes de consultations oculaires qui se sont soldées par 25 588 lunettes offertes.
Les initiatives de la société sur les questions écologiques et surtout du reboisement ont permis de planter 59 775 arbres.
Toutes ces actions lui ont valu une kyrielle de reconnaissances dont le dernier en date.
Le Prix EY 2018 du meilleur entrepreneur de l’année, une page consacrée dans le Magazine Forbes, la nomination en Juin 2018, en tant que membre du Comité consultatif du commerce sur l’Afrique pour un mandat de 4 ans, et ce dernier qui résonne comme une reconnaissance jusque dans les plus hautes sphères de l’administration américaine.
Comme l’a si bien résumé Manisha Singh, Secrétaire adjointe du Bureau des affaires économiques et commerciales, l’histoire de Tchala « illustre le pouvoir de la compréhension interculturelle et de l’entrepreneuriat innovant ».
Olowo-n’djo Tchala n’a certainement pas fini de porter son étoile au firmament, ni celle du Togo qu’il a appris à représenter fièrement partout dans le monde. « La seule chose qui soit sûre, c’est que ma vie sera à jamais consacrée à l’émancipation de tous les défavorisés, et même si Alaffia devait disparaître aujourd’hui de la surface de la terre, le soutien et les opportunités que chacun de vous nous a donné au fil des ans, a profondément marqué les communautés pour les générations à venir ».