Fausse mort du président Ouattara, supposé coup d’Etat: depuis plusieurs mois, des comptes proches des juntes sahéliennes mènent une campagne de désinformation pour déstabiliser les institutions ivoiriennes et troubler la présidentielle du 25 octobre.
« Des coups de feu auraient été entendus à l’ouest de la ville. Des dizaines de morts », écrivait le 9 août un groupe burkinabè aux 116.000 abonnés.
Ce jour-là, des milliers d’opposants ont défilé dans les rues d’Abidjan pour protester contre un 4e mandat du président sortant Alassane Ouattara. Mais aucun coup de feu n’a été tiré, ni même une vitrine brisée durant cette manifestation pacifique.

Pourtant, plusieurs comptes aux dizaines de milliers d’abonnés ont « tenté de dépeindre une situation insurrectionnelle avec pour but d’inciter au désordre », relève l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI), basée à Abidjan.
Fin mars, une autre campagne de désinformation visait à semer le doute sur la santé du président Ouattara.
Là encore, un profil burkinabè annonce le premier sa mort supposée à l’aide de fausses captures d’écran attribuées à France 24 et une infographie falsifiée attribuée à Jeune Afrique. De faux visuels largement relayés par des cyberactivistes proches de l’opposition ivoirienne.
A quelques jours du scrutin, alors que l’opposition appelle à manifester dans toute la Côte d’Ivoire, les infox se multiplient.
« Liens avec le Burkina »
« Selon nos investigations, les comptes responsables de cette campagne sont principalement identifiés comme ayant des liens avec le Burkina Faso et ses soutiens », de la junte au pouvoir, avait conclu l’ANSSI.
Le Burkina dispose d’un groupe de cyberactivistes très influents qui relaient la propagande de la junte sur les réseaux sociaux: les « Bataillons d’intervention rapide de la communication » (BIR-C), avec à leur tête l’activiste Ibrahima Maïga (1,3 millions d’abonnés Facebook), installé aux Etats-Unis.
« Plusieurs analyses indépendantes et enquêtes ont révélé des comptes liés aux juntes militaires sahéliennes, voire contrôlés par celles-ci dans certains cas, y compris à des individus directement liés à la junte burkinabè, comme les deux frères du capitaine Ibrahim Traoré », le chef du régime militaire, dit à l’AFP un analyste sécuritaire de la région.
Kassoum Traoré s’occupe de sa communication sur les réseaux sociaux et est suspecté d’être littéralement derrière les BIR-C avec son ainé Inoussa, conseiller spécial du président, chargé de l’Économie numérique, poursuit le chercheur.
« La clé de la réussite des BIR-C, c’est leur capacité à se saisir d’une actualité pour en faire des contenus détournés et manipulés et les diffuser via des comptes très actifs, à très forte audience, de façon coordonnée et rapide », explique Jérémy Cauden, co-directeur d’Afriques Connectées, un cabinet de gestion de la réputation en ligne à Abidjan.
Discréditer les démocraties voisines
Par ailleurs, pullulent des comptes soutenant les juntes du Burkina, du Mali ou du Niger qui relaient toute critique du pouvoir ivoirien.
Le président Alassane Ouattara s’est montré intransigeant face aux coups d’Etat qui avaient porté des militaires au pouvoir dans les trois pays entre 2020 et 2022.
Et Abidjan entretient de bonnes relations avec la France, ex-puissance coloniale à laquelle les juntes ont tourné le dos au nom de leur politique souverainiste pour se rapprocher notamment de la Russie.
« Les principaux narratifs concernent des allégations de coup d’État, d’un soulèvement contre Ouattara peu avant qu’il confirme sa candidature à un quatrième mandat et des affirmations selon lesquelles la France soutiendrait son pouvoir », explique Beverly Ochieng, analyste à la société Control Risks.
« Déstabiliser le processus électoral ivoirien permet aux juntes de détourner le regard sur leurs propres transitions et justifier leur maintien au pouvoir en discréditant les alternatives démocratiques voisines », dit l’analyste sécuritaire.
Si aucune implication directe de Moscou n’a été documentée dans ces campagnes visant la Côte d’Ivoire, des chercheurs rappellent que la Russie a déjà aidé les juntes sahéliennes dans des opérations d’influence et de propagande, notamment pour amplifier leur écho.
Selon une source sécuritaire ivoirienne, la Côte d’Ivoire dispose d’un plan de riposte qui identifie les menaces quotidiennes, leurs impacts et les réponses à apporter. Ce plan « s’exécute avant et pendant les élections et continuera après », dit-elle à l’AFP sans plus de détails pour préserver le caractère « confidentiel » de cette mesure.
« Il y a eu des poursuites, c’est aux mains du parquet », ajoute-t-elle.
Une grande campagne de publicité baptisée « l’infox divise, l’information rassemble » est actuellement placardée dans les rues d’Abidjan.
Avec AFP