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Quelles ressources humaines africaines d’excellence à implémenter aux programmes d’émergence du continent ?

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De gauche à droite : Didier Acouetey, président d’Africsearch ; Thierry Zomahoun, président de l’AIMS ; Noël Akossi Bendjo, président de la fondation BENIANH, maire d’Abidjan Plateau ; Moustapha Ben Barka, secrétaire général adjoint de la présidence malienne
De gauche à droite : Didier Acouetey, président d’Africsearch ; Thierry Zomahoun, président de l’AIMS ; Noël Akossi Bendjo, président de la fondation BENIANH, maire d’Abidjan Plateau ; Moustapha Ben Barka, secrétaire général adjoint de la présidence malienne

Dans un continent où l’émergence, à l’horizon 2020 pour les plus optimistes ou 2035 pour les moins, est le projet économique de la plupart des dirigeants, il est légitime de se demander comment créer les ressources humaines d’excellence à  implémenter à cette ambition ? Et pour ce faire, l’émission ‘’Le débat africain’’ d’Alain Foka, passée ce dimanche 18 septembre, s’est penchée sur le sujet.

Elle a réuni notamment Didier Acouetey, président du cabinet de recrutement Africsearch ; Thierry Zomahoun, président de l’African Institute for Mathematical Sciences (AIMS) ; Moustapha Ben Barka, secrétaire général adjoint de la présidence du Mali ;  et Noël Akossi Bendjo, président de la fondation BENIANH, maire d’Abidjan Plateau et président du Conseil d’Administration de la Société ivoirienne de Raffinage (SIR).

L’état des lieux

L’état des lieux présenté par le Togolais Didier Acouetey, patron d’AfricSearch, qui célèbre les vingt ans d’existence de son cabinet, révèle une situation ‘’effrayante’’, même s’il y a des raisons d’espérer.

Didier Acouetey, président du cabinet de recrutement Africsearch
Didier Acouetey, président du cabinet de recrutement Africsearch

Selon le président d’AfricSearch, « 80 % des Africains en moyenne sortent du système scolaire sans qualification. 3/4 de ces Africains étudient des disciplines qui ne correspondent pas au besoin du marché de l’emploi. Plus de 10 à 12 millions d’Africains rentrent sur le marché de l’emploi chaque année ; or,  le marché ne crée même pas la moitié d’emplois sur le contient. Ce constat effrayant constitue une crainte sérieuse pour n’importe quel décideur du continent ». Même s’il y a des raisons d’espérer avec les Business Schools qui forment des jeunes africains au management, à la communication, etc., « lorsqu’on réalise des études, on se rend compte que les besoins sont concentrés dans les disciplines scientifiques et techniques, et l’Afrique ne forme pas ses techniciens. Avec les milliards de dollars que nous investissons chaque année dans les infrastructures pour construire des centrales électriques, des routes, des ponts, aéroports, nous n’avons pas les compétences qu’il faut, et c’est l’occasion de crier encore,  ‘Attention, nous perdrions le défi du développement, si nous ne misons pas plus sérieusement dans la ressource humaine, parce qu’elle est la première des infrastructures !’ ».

Quant à Thierry Zomahoun, président de l’AIMS, il y a une crise des compétences scientifiques et techniques sur le continent et qui se décline en chiffres. Sur ces trente dernières années, le continent dépense chaque année, quatre (4) milliards de dollars US pour payer des expatriés ingénieurs, techniciens supérieurs ou pour amener des ouvriers qualifiés. Dans le même temps, il y a beaucoup d’ingénieurs africains en occident que sur le continent. Le continent sera le plus grand vivier de jeunes à l’horizon 2050. Onze (11) millions de jeunes rentrent sur le marché de l’emploi chaque année ; si rien n’est fait, c’est une bombe sociale à retardement. « C’est l’occasion de saluer l’initiative de Didier Acouetey, parce qu’il y a vingt ans (20) ans, quand il parlait de compétence, personne ne savait de quoi il s’agissait ».

Quelle spécialité faut-il développer, ou dans quelle ressource humaine faut-il miser ?

Nous sommes dans un monde en pleine compétition, a souligné Noël Akossi Bendjo, président de la fondation BENIANH et maire d’Abidjan Plateau, avant d’indiquer que « la question qui se pose est comment produire moins cher avec rapidité pour aller sur des marchés dits émergents ? (…) Pour ceux qui ont lu le livre de Jacques Attali sur les métiers du futur (ndlr : Une brève histoire de l’avenir), il y a un certain nombre d’orientations qui ont été données aux États pour anticiper sur l’évolution du marché de l’emploi pour pouvoir compétir par rapport à l’évolution de la technologie. Je pense que le secteur dans lequel les ressources humaines ont besoin d’être concentrées est tout ce qui concerne l’innovation, tout ce qui est technique de façon à ce que nous produisions pour aller sur des marchés qui étaient la chasse gardée de certains pays. »

Moustapha Ben Barka, secrétaire général adjoint de la présidence du Mali
Moustapha Ben Barka, secrétaire général adjoint de la présidence du Mali

Pour Moustapha Ben Barka de la présidence malienne, l’Afrique dispose des ressources naturelles en abondance, mais qui sont exportées à l’état brut, qu’elles soient minières ou agricoles, et qui sont importées après sous forme de produits finis, due principalement au manque d’industrialisation du continent.  C’est pour cette raison, nous devons plus nous concentrer sur des métiers à valeur ajoutée certaine pour nos populations. Naturellement après ces constats, prenant l’exemple du Mali, nous avons initié, de concert avec des partenaires techniques et financiers, qui nous aident à développer des compétences dans des secteurs qui peuvent être vecteurs de notre développement tels que le BTP, l’agriculture, l’électricité, etc. Des programmes ont donc été établis pour recadrer des dispositifs institutionnels au niveau de l’éducation nationale et de la recherche.

Depuis vingt ans, y a-t-il des changements au niveau des États ?

Pour Didier Acouetey, « Il y a une prise de conscience générale, mais c’est la mise en œuvre que nous ne voyons pas arriver. » Prenant l’exemple des écosystèmes dans le domaine des technologies dans des pays comme le Kenya, il explique qu’ils se sont créés tout seuls, parce que les jeunes ont compris que par les TIC, on pouvait innover rapidement sans gros investissements, et c’est après que l’État essaie d’accompagner ; et d’autres acteurs comme Google, Microsoft, Facebook viennent sur le continent mettre en place des incubateurs pour utiliser cette ressource qui s’est formée naturellement sur le tas. « Mais malheureusement, aucune initiative forte, qui puisse changer la trajectoire scientifique et technologique du continent, n’est prise par les États aujourd’hui. »

Noël Akossi Bendjo, président de la fondation BENIANH, maire d’Abidjan Plateau et président du Conseil d’Administration de la Société ivoirienne de Raffinage (SIR)
Noël Akossi Bendjo, président de la fondation BENIANH, maire d’Abidjan Plateau et président du Conseil d’Administration de la Société ivoirienne de Raffinage (SIR)

Comment changer la donne ?

Pour Noël Akossi Bendjo, il y a besoin de beaucoup plus de concertation entre l’État et le privé pour l’identification des besoins, de façon à concentrer des ressources en changeant le système de formation ; ce qui ne peut se faire que dans « un environnement politique stable », où  la lisibilité à long terme est bonne.

Il faut aller vers des écosystèmes qui vont au-delà des centres de formation, en arrimant les cursus de formation avec les besoins du secteur privé pour pouvoir produire des jeunes qualifiés pour les métiers, tout en favorisant la recherche, car il ne peut y avoir de transformation de l’économie sans la recherche appliquée, soutient pour sa part Thierry Zomahoun.

Prenant l’exemple du Président Ibrahim Boubakar Kéita du Mali, Moustapha Ben Barka précise, avec son arrivée, il y a eu des initiatives avec l’appui des partenaires pour lancer des initiatives, notamment le Projet de développement des compétences de l’emploi des jeunes avec environ 33 milliards de FCFA sur cinq (5) ans pour des formations ciblées sur les besoins spécifiques du secteur privé ; et le Programme décennal de la formation professionnelle de l’emploi. Prenant le contre-pied de Didier Acouetey, il argumente, des initiatives locales sont prises par les États africains, peut-être la vitesse à laquelle on voudrait voir se réaliser ces projets n’est pas la même que dans les pays dits développés.

Que font les entreprises pour créer ces ressources humaines d’excellence ‘made in Africa’?

Pour Thierry Zomahoun, il y a un certain nombre d’entreprises qui travaillent avec des institutions telles que l’AIMS ou AfricSearch pour répondre à ce problème, mais elles sont minoritaires par rapport aux autres qui jouent dans le rôle traditionnel d’importation des ressources humaines de l’extérieur.

Il y a une nécessité de créer une passerelle entre les écoles de formation et la vie en entreprise, de manière à préparer progressivement l’étudiant à cet environnement exigeant du monde du travail ; « parce que la responsabilité des entreprises est aussi de contribuer à constituer cette ressource humaine », soutient Noël Akossi Bendjo, en s’inspirant de son expérience de Président du Conseil d’Administration de la Société ivoirienne de Raffinage (SIR).

 

Relançant le débat avec l’exemple de la BGFI, la Banque gabonaise de finance internationale qui a créé sa propre école de formation, la question d’Alain Foka était, au-delà de la nécessité de création de passerelle entre les deux mondes, les entreprises manifestent-elles l’envie de créer leurs propres centres de formation ou serait-elle une tendance à vivre bientôt sur le continent pour former leurs jeunes ?

La tendance est de plus en plus remarquée, selon Didier Acouetey, « mais les entreprises ne créent pas forcément de centres de formation lorsqu’elles n’ont pas une taille critique d’employés à absorber, sinon, elles se substitueraient à l’État ». Ce que l’on voit également, ce sont de petits centres pour des métiers très spécifiques dans des domaines techniques tels que le BTP, l’énergie, l’électromécanique ou l’agro-alimentaire, où il existe un vrai déficit en ressources humaines en Afrique, que les grandes entreprises soutiennent pour les réhabiliter et offrir des infrastructures pour former les jeunes.

Même si ce sont les besoins de l’entreprise, et malgré sa démarche citoyenne de soutien des centres de formation, il faut une incitation de l’État envers elle par un certain nombre d’avantages fiscaux, a évoqué Didier Acouetey, en prenant des exemples sur les États-Unis où des chaires sont financées par de grosses entreprises.

Thierry Zomahoun, président de l’African Institute for Mathematical Sciences (AIMS)
Thierry Zomahoun, président de l’African Institute for Mathematical Sciences (AIMS)

Pour Thierry Zomahoun, « L’entreprise est là pour faire du profit », et s’il faut qu’elle investisse dans les ressources humaines, « il faut que vous lui prouviez qu’elle peut faire des profits, même si ce n’est pas à court terme ». Et c’est cette expérience que fait l’AIMS avec des entreprises qui s’engagent à investir dans des jeunes, parce qu’elles savent qu’au bout du rouleau, ils leur permettront d’innover sur les plans scientifiques et technologiques pour pouvoir faire encore plus de profits. « C’est tout un processus d’explication et je dois dire que la pédagogie d’implication des entreprises a pris du temps pour prendre, mais il y a quelque chose qui bouge sur le continent. »

Des mesures concrètes

Au rang des mesures, plaide Didier Acouetey, il faut une meilleure articulation entre le monde des entreprises publiques et privées et le monde universitaire et de la recherche appliquée ; la création des centres de métiers pour donner des compétences aux jeunes entre deux (2) et six (6) mois pour être capables d’exercer dans des entreprises. Plus loin, a-t-il soutenu, «  si vous n’avez pas soutenu des champions locaux, ils ne peuvent pas croître et employer les ressources humaines qui sont formées. Donc, l’écosystème de développement et d’accompagnement du secteur privé est essentiel. 90 % du secteur privé africain est constitué des PME. Tant qu’elles ne sont pas accompagnées au niveau financier, au niveau des réformes juridiques, au niveau environnemental pour en faire des champions, elles ne peuvent pas employer ceux que le système universitaire produit. »

Plaidant pour les startups, Thierry Zoumahoun affirme, « L’opportunité, qu’on ne donne pas aux jeunes africains qui sortent de ces centres de métiers et qui créent des entreprises aussi, est une entrave au développement du secteur. 80 à 90 % des startups meurent entre deux et trois ans essentiellement, faute aux défauts d’investissements et d’accompagnements techniques et scientifiques. »

La place des cadres de la diaspora dans la transformation du continent

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Didier Acouetey, président du cabinet de recrutement Africsearch

Pour Moustapha Ben Barka, l’Afrique qui compte des millions de cadres bien formés et qui évoluent sur d’autres continents, le retour est essentiel pour le développement du continent dans les secteurs-vecteurs de développement du continent. L’agriculture, la transformation des ressources en produits finis sont, entre autres, les secteurs-vecteurs du prochain développement du continent.

Thierry Zoumahoun envisage même une catastrophe si la diaspora ne se mobilise pas pour le continent. « Nous allons rater la 3ème révolution des technologies de l’information », si la diaspora surtout dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques, ne retourne pas sur le continent.

Pour le chasseur de têtes africaines, Didier Acouetey, il y a une forte tendance au retour, sauf que l’Afrique ne crée pas assez d’emplois pour cela. A défaut de créer de l’emploi, il faut créer l’environnement pour que ces Africains viennent entreprendre avec des mécanismes de financement et d’accompagnement pour les encourager au retour. « Quand vous avez une belle position dans une grosse entreprise à Washington, à Paris, ou à Londres, vous ne voyez pas vraiment l’intérêt à revenir, si ces conditions ne sont pas là », explique-t-il.

Même son de cloche avec Noël Akossi Bendjo qui souligne l’importance de la création des conditions sur le continent pour attirer cette diaspora qui est dans un nouveau paradigme au vu de leurs expériences occidentales.

Accédez à la page de l’émission pour télécharger la version audio.

Avec Rfi.fr