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Quelques extraits de l’ouvrage ‘Un destin foudroyé’

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Kodjovi Obilalé
Kodjovi Obilalé

« J’ai débarqué pour la première fois en France, je rêvais modestement de Ligue 2 et j’ai atterri en division d’honneur, à travailler de nuit à la chaine »

« Un joueur sélectionné pour la coupe du monde, ça se monnaye, même un troisième gardien dans l’équipe du Togo. C’est sans doute ce que s’est dit mon «agent». Je n’avais plus guère de nouvelles de lui depuis deux ans. Il a débarqué à notre hôtel un peu avant le match contre la France. Sans une excuse pour son silence, le douteux personnage était tout sourire. En embobineur qualifié, il m’a eu à la flatterie « Dodo, tu as beaucoup progressé. Il faut absolument que tu restes en Europe, je vais te trouver un club…»

« Soudain, un bruit violent vient stopper les discussions dans le bus. Je n’ai pas le temps de comprendre de quoi il s’agit que je ressens comme une décharge électrique dans le bas du dos. C’est la panique. Aux cris se mêlent des centaines de détonations comme une pétarade qui ne s’arrête pas. Les balles sifflent autour de nous dans tous les sens. Quelques vitres éclatent mais pas la mienne. Le bus poursuit sa route quelques centaines de mètre avant de s’immobiliser. Le chauffeur s’effondre, du sang partout sur le cou et le visage. Autour, ça continue de canarder dans tous les sens, impossible de voir d’où vient l’assaut. »

« Stanislas Ocloo, notre attaché de presse, est étendu dans l’allée centrale du bus, à deux mètres de moi. Il criait jusqu’à présent, maintenant il ne peut plus qu’émettre de longs râles en fixant je ne sais quoi au-dessus de lui. Une mare de sang se forme autour de lui. Il ne fait pas de doute qu’il est en train de partir. Le moral en prend un sérieux coup. Je suis le prochain sur la liste. Moi aussi j’ai ma petite mare de sang. »

« J’ai fini par sortir de la rubrique nécrologique en même temps que j’entrais au bbc opératoire en Afrique du sud, plus de 24 heures après l’attentat. Un bref démenti téléphonique que j’ai eu la force de murmurer à mon frère, en pleine veillée mortuaire à Lomé. »

« Pendant des mois après l’attentat, j’ai éprouvé la sensation d’être un mort-vivant. Une intense douleur de vide et d’inutilité. Le temps s’étirait pour bien me mettre sous le nez que ma vie était foutue. On m’avait jeté sur le bord de la route et l’humanité toute entière poursuivait son chemin. À la Fédération togolaise de football, notamment, on m’avait un peu trop vite oublié. L’ancien goal remplaçant de la sélection nationale était devenu un problème insurmontable qu’on ne voulait plus voir. »

« Au Togo, certains portent une écrasante responsabilité dans la tragédie. La vérité est aussi crue que cela. Fidèles à leurs traditions, des dirigeants de la fédération ont privilégié le bus à l’avion pour économiser quelques dollars, et avoir ainsi un gâteau plus volumineux à se partager. L’intérêt personnel avant toute chose. La soi-disant solidarité africaine dont on parie en Europe ? Poudre aux yeux. »

« Le docteur Cocagne m’a parlé d’insérer des broches pour rééquilibrer ma carcasse. Les broches, j’en avais entendu parier dans les jambes ou les bras, mais dans la colonne vertébrale… Placé un bout de ferraille si proche de la moelle épinière, l’opération n’était pas sans risques. »