Celui qui était depuis trente ans le président du Soudan, Omar el-Béchir, était allé dormir quelques heures, dans la nuit du 10 au 11 avril 2019, l’esprit allégé par les assurances de son redoutable chef des renseignements, Salah Gosh. Celui-ci, tard dans la soirée, lui avait réitéré son soutien, malgré la foule occupant les rues de Khartoum, malgré les réticences grandissantes de l’état-major et les dangereuses divisions dans les rangs de la troupe.
Deux soldats avaient été tués quelques jours plus tôt, après s’être interposés entre la force armée des services de renseignement et les manifestants rassemblés devant le quartier général de l’armée. Et des officiers et sous-officiers avaient ouvertement rejoints la révolution. Dans Khartoum, pour assurer l’ordre, ne restaient plus que la maigre police, les hommes du NISS de Salah Gosh et les paramilitaires des Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemeti », un ancien chef janjawid qui avait servi à Béchir pour toutes les basses œuvres de son régime depuis les années 2000.
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Des « cris incessants »
Mais à son réveil, quatre heures plus tard, c’était fini. Selon un témoin présent ce matin-là, Béchir a compris que la police, l’armée, le NISS et les Forces de soutien rapide ne bougeraient pas pour le sauver : sa garde personnelle lui avait été retirée, remplacée par des soldats de l’armée régulière. Ses lignes téléphoniques avaient été coupées. Après sa prière, il a été conduit, malgré « ses cris incessants », selon ce témoin cité par l’agence Reuters, à la prison de Kober où, pendant des dizaines d’années, il avait fait incarcérer les opposants à son régime. À la télévision nationale, l’éphémère chef du Conseil militaire de transition, le vice-président et général Awad Ibn Aouf, annonce la destitution du raïs soudanais.
Avec le recul, on sait désormais que cela faisait plusieurs jours que les chefs de l’armée exploraient sérieusement leurs options. Pour eux, la situation n’était plus tenable : la mobilisation populaire était trop importante et leur propre survie était désormais en jeu. Béchir avait ordonné la répression, mais le haut commandement avait refusé, notamment le général Abdel Fattah Al-Bourhane, aujourd’hui président du Conseil souverain de la transition, et « Hemeti », numéro deux du nouveau pouvoir. On lui avait proposé un exil à Riyad : ce scénario avait été catégoriquement rejeté lui aussi.
Les parrains du Golfe
Des contacts avaient donc été pris avec l’Égypte, les Émirats et l’Arabie saoudite pour s’assurer de leur soutien en cas de coup d’état et un soutien financier pour le jour d’après. Ces puissants pays arabes s’inquiétaient de toute façon du jeu ambigu, des retournements d’alliances permanents dont était capable Béchir vis-à-vis de l’Iran, de la Turquie et de le Qatar, leurs ennemis du moment. Et du rôle toujours important, au Soudan, de leur courroie de transmission, sur laquelle l’ex-chef de l’État s’était longuement appuyé, avec des fortunes diverses : la confrérie islamiste des Frères musulmans.
C’est donc à Salah Gosh qu’est revenue la tâche de déposer son ancien allié : c’est sa défection qui a donné le signal, au matin du jeudi 11 avril. Ce même Salah Gosh, un homme qui se sait détesté au Soudan pour son rôle dans la répression et la surveillance politique, a d’ailleurs démissionné lui aussi, 24 heures plus tard. Puis il est entré dans l’ombre de l’exil, en Egypte, où il se trouve toujours.
Avec RFI