Pas toujours évident de concilier vie de couple et obligations professionnelles depuis que le télétravail s’est imposé à la maison avec le confinement et l’explosion de l’épidémie de Covid-19. Que devient la vie amoureuse lorsque les deux partenaires passent leur journée à la maison, chacun derrière son écran, l’un parfois coincé dans la cuisine, l’autre tant bien que mal installé sur le canapé?
Des moments à deux
Garance (qui a souhaité que son prénom soit modifié), 33 ans, est de celles et de ceux qui apprécient de pouvoir travailler à domicile pour pouvoir justement passer davantage de temps avec son conjoint, souvent absent pour son travail.
“On peut enfin prendre du temps tous les deux le soir, à regarder un film ou une série, et c’est appréciable”, témoigne-t-elle pour BFMTV.com.
Car en semaine et en temps normal, ces jeunes parents d’un petit garçon de 2 ans ne font que se croiser, entre la course du matin pour arriver à l’heure sur son lieu de travail, celle du soir pour ne pas rentrer trop tard et les déplacements de plusieurs jours de son compagnon.
“Je pars le matin à 8 heures, je dépose mon fils à la crèche et je ne rentre qu’après 20 heures. C’est la nounou qui le récupère et le couche avant notre retour. J’ai deux heures de transport en commun tous les jours, quand j’arrive à la maison le soir, je suis crevée. Je veux juste manger et aller me coucher.”
Ce qui était parfois source de tensions avec son conjoint. “Il me disait qu’on ne se voyait jamais”, raconte encore Garance. Mais depuis que la jeune femme télétravaille à 100%, fini la fatigue des transports en commun et les retours tardifs à la maison. Les jeunes parents, qui résident à Montrouge, une commune limitrophe de la capitale, apprécient enfin de pouvoir se retrouver en fin de journée pour des moments à trois, puis à deux.
“Tout le temps l’un sur l’autre”
Chez Jeanne (qui a elle aussi souhaité que son prénom soit modifié), une agente de voyage de 35 ans qui habite avec époux et enfants dans un appartement des Hauts-de-Seine, le télétravail est loin de lui rendre la vie de couple en rose.”On est chacun dans notre coin, l’ambiance est lourde”, confie-t-elle à BFMTV.com. Son mari télétravaille dans le salon, elle s’est installée un petit bureau dans leur chambre.
“Habituellement, quand on est à table, il y a les enfants. Ils parlent, ils chahutent, tout de suite, ça met de l’ambiance. Là, on se croise à peine le midi pour déjeuner, parfois on ne mange même pas ensemble, chacun prend son repas à des heures différentes. Il y a un silence, c’est pesant. Et c’est un peu triste.”
La jeune femme craint ainsi que sur le long terme, l’intrusion de la vie professionnelle dans leur intimité ne laisse des séquelles.
“On passe toute la journée à côté, on est tout le temps l’un sur l’autre et pourtant on ne se voit pas.” Malgré le temps perdu dans les transports, Jeanne appréciait de “se quitter le matin” pour se retrouver le soir. Et estime que la journée passée sur leur lieu de travail respectif créait l’envie de revoir l’autre. Ce qui n’est plus le cas.
“Notre vie de couple n’était déjà pas glorieuse et on ne partageait pas grand chose, hormis les enfants. J’ai peur que ce soit pire.”
“Des petits rendez-vous manqués”
C’est ce qu’observe Isabelle Lellouch, psychothérapeute conjugale, qui remarque que le télétravail n’est pas si facile à conjuguer avec la vie de couple. “C’est globalement assez mal géré”, note-t-elle pour BFMTV.com, pointant “beaucoup de petits rendez-vous manqués”.
“On pourrait imaginer que les deux étant en télétravail, ils pourraient se retrouver le midi pour déjeuner ou se faire des pauses-café, que c’est une chance que l’autre soit là. Mais au final, télétravail et vie de couple, ce n’est pas si confortable.”
Car bien que les enfants soient cette fois-ci à l’école, contrairement au premier confinement du printemps, les contraintes – notamment domestiques – restent les mêmes. Pendant le confinement du printemps, près d’une femme sur deux a assuré une double journée, contre 29% des hommes, selon l’Insee.
“Qui va chercher les enfants, qui s’en occupe, qui prépare le repas? On se dit ‘j’ai bossé autant que toi’ et le quotidien devient conflictuel. Au final, on se retrouve à faire de la colocation, ça se passerait même mieux si on télétravaillait avec des collègues, à se demander comment ça va et à se proposer des cafés.” Pour Isabelle Lellouch, contrairement aux journées classiques – “on sait comment la soirée va se dérouler ou qui va chercher les enfants” – le télétravail brouille les repères du quotidien.
“Il n’y a plus ces échanges informels avec les collègues, ou ce sas de décompression que représentaient les transports. Là, les tensions de la journée s’accumulent et ne favorisent pas les retrouvailles. On finit par prendre de la distance et on est moins dans l’intimité.”
“On fait attention”
C’est pour cela que Jane Kochanski, 45 ans, traductrice et experte judiciaire qui télétravaille avec son conjoint ingénieur dans la finance dans leur appartement parisien, veille à l’équilibre entre leurs vies professionnelle et privée.
“On fait attention à ce que le travail ne prenne pas le pas sur le reste”, explique-t-elle à BFMTV.com.
Concrètement: les époux et parents de trois enfants veillent à s’accorder une vraie pause déjeuner, ensemble, d’une heure à une heure et demi. Avec au menu des conversations autre chose que le boulot. “On parle des enfants, de la famille, de tout et de rien et surtout on essaie de se projeter, de se donner des perspectives, même à court terme.” Et la soirée, avec leurs jumeaux de 12 ans et la cadette qui vient d’entrer en 6e, est sanctuarisée.
“Le danger, avec les écrans à portée de main, c’est que chacun retourne dans son coin pour lire ses mails. On pose les téléphones.”
Si le télétravail se passe plutôt bien pour ce couple, “on a appris depuis le premier confinement” ,Jane Kochanski ajoute que cela nécessite tout de même de jongler entre leurs différentes casquettes et surtout de se montrer davantage attentif à l’autre.
“On peut facilement se marcher dessus”
Pour Imane Adimi, psychologue clinicienne et psychothérapeute, tout est en effet une question de communication mais aussi d’espace.
“Surtout dans les petits appartements, on peut facilement se marcher dessus”, met-elle en garde pour BFMTV.com.
Selon une étude de l’Ined, chez les cadres, si 47% des hommes ont disposé d’un espace de travail pendant le premier confinement, ce ne sont que 29% des femmes. Et dans toutes les catégories socio-professionnelles, ces dernières ont majoritairement partagé leur espace de travail.
C’est évidemment plus facile de télétravailler en couple dans une maison avec jardin que dans un deux-pièces parisien. Mais la psychologue Imane Adimi se montre tout de même optimiste quant à l’avenir de ces télétravailleurs. Et assure même qu’il est possible de trouver le moyen de concilier amour et obligations professionnelles.
“À chacun de s’écouter, s’adapter et se réinventer. Les routines peuvent tout à fait être modifiées en cours de route. Et quand il faut faire des compromis, il faut simplement veiller à ce que ce ne soit pas toujours au détriment de la même personne.”
Avec BFMTV