Dominique Atdjian, Avocat au Barreau de Paris et de Bruxelles & Patrick Huart, Président de l’Institut Européen pour la politique de communication stratégique
La concomitance des élections présidentielles américaines et de plusieurs scrutins en Afrique de l’Ouest offre l’occasion de réfléchir à une double interrogation : quels sont les critères qui constituent la validité d’une élection et faut-il, in fine, en recourir systématiquement aux juges contre les urnes ? Au risque de créer une ambiance propice aux violences et désastres humains.
Les scrutins démocratiques méritent des candidats responsables
Dans le cas des États-Unis qui, rappelons-le, sont des élections indirectes puisque les grands électeurs de chaque État élisent le Président, la victoire de Joe Biden est désormais actée, bien que l’on se dirige vers une saisine des juges, chargés de statuer sur la conformité et la régularité des résultats dans plusieurs États. Les swings states seront, sans doute, les plus scrutés, car les plus à même de faire rebasculer le scrutin, du côté des Républicains. Les juges risquent fort d’avoir du pain sur la planche, compte tenu cette année de l’importance des votes anticipés par correspondance et aussi de la participation particulièrement élevée, ce qui constitue une représentation significative du corps électoral. Donald Trump promet même de saisir la Cour Constitutionnelle, si les premiers recours venaient à échouer. Renforçant la tension dans un pays déjà divisé.
En Côte d’Ivoire, où la participation électorale s’est élevée au même niveau, l’opposition semble n’avoir pas choisi la bonne solution, décidant in extremis de boycotter le scrutin, alors même qu’il eût été facile et tactiquement payant de s’opposer au Président, en présentant comme candidat d’union Henri Konan Bédié, qui aurait certainement pu réaliser un score très honorable au premier tour, et selon toute vraisemblance, concourir au second. D’autant que l’opposition ivoirienne avait fait le pari risqué d’une invalidation des résultats du fait d’atteintes au bon déroulé du scrutin. Un échec, car les différentes missions d’observateurs présentes sur le terrain durant toute la durée du processus électoral en Côte d’Ivoire ont reconnu la conformité du scrutin électoral aux règles internationales. La déclaration préliminaire de l’Union africaine, rendue publique le 2 novembre 2020, a considéré que « le premier tour de l’élection du président de la République s’est déroulé de manière globalement satisfaisante en dépit d’un contexte politique caractérisé par l’absence de consensus sur le processus conduisant à l’élection du 31 octobre 2020 entre les acteurs politiques ». Une formulation qui, en substance, déplore la politique de boycott menée par certains opposants.
Du côté de la CEDEAO, si on dénonce « des violences dans certaines localités liées au contexte », le communiqué officiel reconnaît que le scrutin s’est déroulé selon un mode « globalement satisfaisant et donc acceptable ». Une déclaration conjointe CEDEAO – Union Afrique – Nations Unies rejette « la création d’un Conseil national de transition par une partie de l’opposition » et appelle au respect de « l’ordre constitutionnel », validant ainsi l’élection d’Alassane Ouattara à un nouveau mandat. Différents rapports qui valident la maturité de la démocratie ivoirienne. Avec un taux de participation non-négligeable et la reconnaissance de la validité du vote par les organismes sous-régionaux et internationaux, l’opposition s’est heurtée au mur de la légalité d’une part et à celui de la popularité d’autre part. En effet, le boycott des urnes n’apporte pas en général l’adhésion des électeurs, car cela les prive de leur désir d’opposition et de sa traduction dans les urnes.
De l’appel aux juges à l’appel aux armes : le jeu dangereux des candidats malheureux
Dans ces conditions, l’opposition peut décider de faire appel, pour la forme, au jugement politique ou diplomatique des responsables sous-régionaux, africains ou internationaux, bien qu’ils ne soient pas en mesure de contester juridiquement les résultats. Ou bien, comme elle le fait actuellement, elle peut se tourner vers la voie irraisonnable de l’appel aux armes et de la révolte populaire.
Au prix de sacrifices humains. Une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle de la Guinée, où Cellou Dalein Diallo, principal opposant malheureux au scrutin face à Alpha Condé, multiplie les appels à la révolte « pacifique ». Déjà, le triste bilan s’élève à une trentaine de morts en marge de rassemblements qui, systématiquement, se terminent en affrontements violents. En Côte d’Ivoire, l’un des opposants interdits de se présenter, Guillaume Soro, multiplie les appels à la mutinerie dans les rangs des armées. Au risque de rejouer la tragique pièce de la guerre civile ivoirienne de 2010-2011 et de ses milliers de morts, qui plane encore sur la vie politique nationale.
Aux États-Unis, le refus de Donald Trump de reconnaître une défaite aujourd’hui évidente et la multiplication des recours est un vecteur de violence politique dans le pays, notamment dans certaines zones du territoire où les militants républicains prennent bien souvent la forme de milices politiques, lourdement armées. Si une situation de guerre civile généralisée, sur le modèle ivoirien, n’est pas envisageable, des éruptions spontanées et sporadiques de violence peuvent émerger.
Faisons l’éloge de l’apaisement et de la défaite électorale acceptée
Pour les candidats malheureux, le sens de l’intérêt général et celui de l’État devraient conduire à un dialogue avec le vainqueur des urnes pour arriver à la réconciliation nationale, que la plupart des citoyens américains, ivoiriens ou encore guinéens souhaitent sans doute ardemment. À ce titre, en Côte d’Ivoire, la position de Laurent Gbagbo a brillé pour son sens de la responsabilité, appelant les différentes parties au calme, à l’apaisement et à la réconciliation nationale. Pour les différents candidats malheureux, l’histoire retiendra qu’ils auront préféré, à la paix civile et au respect des vies humaines, la contestation de scrutins perdus.