Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Après les « Luanda Leaks », place à la décomposition de l’empire d’Isabel dos Santos

Facebook
Twitter
WhatsApp

Le monde que la milliardaire Isabel dos Santos et son mari, Sindika Dokolo, avaient pris l’habitude de sillonner en jet privé s’est brutalement rétréci. De Luanda à Monaco, de Lisbonne à Washington, de Praia à Genève, la fille aînée de l’ancien président angolais José Eduardo dos Santos se retrouve sur la sellette.

En Angola, où elle ne s’est pas rendue depuis deux ans, elle est désormais formellement accusée de fraude, détournement de fonds, blanchiment d’argent, trafic d’influence, abus de biens sociaux et faux en écriture. Face aux rumeurs de tractations avec le pouvoir angolais, le procureur de la République a démenti « toute sorte de négociation » avec Isabel dos Santos, qui risque, avec son époux danois d’origine congolaise, de lourdes peines de prison.

Togo : le secteur agricole reste et demeure le principal levier de relance de l’économie

Depuis la publication des « Luanda Leaks », une enquête coordonnée par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) avec 36 médias internationaux partenaires, dont Le Monde, son empire économique se dépèce au gré des révélations et des enquêtes judiciaires.

Au Portugal, où elle a établi le siège de sa société de gestion financière, Fidequity, et où elle avait acquis des parts significatives dans des grandes entreprises, Isabel dos Santos est désormais contrainte de se délester de ses actions et de disparaître peu à peu. Celle qui se voulait l’icône d’une élite africaine globalisée et décomplexée était partie à la conquête des fleurons de l’industrie de l’ancienne puissance coloniale, ce qui pouvait susciter de la fascination et une certaine fierté en Angola. La fille de l’ancien président kleptocrate se retrouve désormais soupçonnée d’avoir siphonné les caisses de l’Etat. Elle est devenue indésirable.

La femme la plus riche d’Afrique a ainsi dû se résigner à se retirer du capital du groupe d’ingénierie et d’énergie Efacec Power Solutions, qu’elle contrôlait notamment à travers l’une de ses sociétés enregistrées à Malte. Suite aux « Luanda Leaks », le régulateur de la Bourse portugaise a ouvert des enquêtes sur les origines des fonds d’Isabel dos Santos, qui dispose de parts significatives dans le groupe de télécommunications Nos et dans la société pétrolière Galp Energia à travers des montages financiers offshore tortueux. Tout comme pour Efacec, ses conseillers, prête-noms et amis placés à des postes stratégiques de ces groupes ont été contraints à démissionner sur-le-champ.

Plus tragique, Nuno Ribeiro da Cunha, son gestionnaire de comptes à la banque portugaise EuroBic (ex-BIC), dont Isabel dos Santos détient 42,5 % des parts, a été retrouvé mort le 23 janvier à son domicile de Lisbonne. Le banquier portugais, qui était mis en cause par la justice angolaise, s’est probablement suicidé, selon l’enquête des autorités portugaises. M. Ribeiro da Cunha gérait entre autres les comptes d’Esperaza, une société contrôlée par la holding suisse de Sindika Dokolo. Esperaza a été utilisée pour investir de présumés fonds publics angolais dans Galp Energia.

IMG-20170223-WA0013

Pour « préserver la confiance dans l’institution », la direction d’EuroBic a fait savoir qu’elle avait rompu tout lien avec Isabel dos Santos. Ses actions ont été mises en vente et elle s’est vu retirer « définitivement » tout droit de vote. La filiale cap-verdienne de l’établissement bancaire est également visée par une enquête des autorités de cet archipel d’Afrique de l’Ouest, qui soupçonne le couple de blanchiment de fonds.

Entre 2016 et 2017, Isabel dos Santos a transféré plus de 35 millions de dollars sur des comptes ouverts dans sa banque pour certaines de ses sociétés offshore, selon une enquête de Finance Uncovered, partenaire d’ICIJ dans les « Luanda Leaks ». C’est aussi dans cette banque du Cap-Vert qu’ont été perçus des dividendes de Galp par la société opaque de Sindika Dokolo, au détriment de son partenaire, l’entreprise pétrolière publique angolaise Sonangol, selon cette dernière. Ce que M. Dokolo dément.

Les révélations des « Luanda Leaks », considérées comme étant « d’une importance énorme » par le régulateur de la Bourse portugaise, sont dénoncées avec verve par Isabel dos Santos. Dans un communiqué adressé par ses avocats, la milliardaire dénonce « une campagne trompeuse » destinée à « ternir » sa réputation et à « retourner l’opinion publique » à des fins politiciennes. Elle continue de pointer une manipulation ourdie par le régime du président Joao Lourenço et nie tout détournement de fonds publics. « J’ai toujours opéré dans le respect de la loi et toutes mes transactions commerciales ont été approuvées par des avocats, des banques, des auditeurs et des régulateurs », précise-t-elle.

Les plus de 700 000 documents issus d’un piratage informatique revendiqué par le hackeur portugais Rui Pinto, actuellement en détention, lèvent effectivement le voile sur la complicité de facilitateurs occidentaux. En première ligne se trouvent les plus grands cabinets de conseil et d’audit de la planète, dont le rôle s’est révélé crucial pour l’orchestration de sa toile de sociétés offshore ayant permis une optimisation fiscale agressive et des présumés détournements de fonds publics.

Premier League : Mourinho donne des leçons tactiques à Guardiola après sa défaite

Selon les « Luanda Leaks », PricewaterhouseCoopers (PwC), Boston Consulting Group (BCG), McKinsey & Company et Accenture ont effectué plusieurs missions pour le compte d’Isabel dos Santos et de Sindika Dokolo via certaines de leurs sociétés offshore de conseil. Il s’agit le plus souvent de coquilles vides enregistrées à Malte, en Suisse, aux Pays-Bas ou à Dubaï, dont la seule compétence était de servir d’intermédiaire entre les entreprises publiques aux ordres du président autocrate et des géants du conseil et de l’audit peu regardants. Contre des millions de dollars, ces derniers ont ainsi contribué à crédibiliser et optimiser les activités offshore d’Isabel dos Santos et Sindika Dokolo, quitte à fermer les yeux sur certaines pratiques hasardeuses.

De par la « gravité des allégations » des « Luanda Leaks », un associé de la filiale portugaise de PwC a quitté la direction du département fiscal qui collaborait avec Isabel dos Santos. Une enquête interne a été lancée. « Au regard des signaux qui étaient là, nous aurions dû les voir et réagir plus tôt. Cela a été notre erreur », a déclaré au Guardian Bob Moritz, président du réseau international de PwC. De son côté, le cabinet de conseil en stratégie BCG assure « n’avoir jamais été engagé par Isabel dos Santos ou son mari, ni travaillé directement pour eux, à aucun moment ». La multinationale a pourtant facturé ses services 3,5 millions de dollars à une société maltaise, Wise, appartenant au couple, selon les « Luanda Leaks ».

Considérablement fragilisés et suspendus aux décisions de justice de plusieurs pays, Isabel dos Santos et Sindika Dokolo tentent vaille que vaille d’échapper aux poursuites et aux arrestations. Désormais, la milliardaire privilégierait son passeport russe, le pays d’origine de sa mère, pour se déplacer. Le couple délaisse ses résidences luxueuses de Lisbonne et Monaco pour passer du temps dans ses demeures fastueuses de Londres et, de plus en plus, à Dubaï. Dans la cité-Etat émiratie, peu encline à concéder des extraditions et réputée pour son secret bancaire, elle dispose de plusieurs sociétés offshore soupçonnées d’avoir servi à des détournements de fonds publics.

Pour se défendre, Isabel dos Santos a mobilisé sa myriade de communicants et d’avocats occidentaux chargés de porter plainte contre ICIJ et les médias partenaires. Elle s’est aussi tournée vers Sonoran Policy Group, un cabinet de lobbying établi à Washington et qui compte d’anciens stratèges de la campagne de Donald Trump. Selon le contrat d’un montant de 450 000 dollars, il est notamment question de lui « faciliter des entretiens et des interactions » avec des responsables politiques et judiciaires au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Togo : après Amadahomé, la maison des jeunes de Kara incendiée

En Angola, celle qui était autrefois surnommée « la princesse » est désormais recherchée telle une fugitive, paria d’une élite au pouvoir qui l’a courtisée, appuyée et en a profité, avant de la sacrifier au nom d’une lutte anticorruption aux allures de vendetta politico-économique. Le procureur général a annoncé qu’il utiliserait « tous les moyens possibles et activerait les mécanismes internationaux pour ramener [Isabel] dos Santos dans le pays ».

Avec Le Monde