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Après le Covid-19, Prof Kako Nubukpo appelle à l’urgence de nouvelles politiques économiques africaines

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Pour l’économiste Kako Nubukpo, la crise née de la pandémie de Covid-19 doit être l’occasion de promouvoir un nouveau modèle économique pour le continent africain, fondé sur un développement endogène, solidaire et respectueux de l’environnement.

La pandémie du Covid-19 rebat les cartes de la mondialisation actuelle : elle perturbe les chaînes logistiques mondiales, rend incertain l’approvisionnement en biens et services dans le monde, crée de nouvelles hiérarchies entre les nations, consécutives à la nature plus ou moins optimale de la réponse des États à la crise, et enfin provoque une chute sans précédent de la demande mondiale.

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L’Afrique n’échappe pas à cette crise et à ses conséquences, tant sa dépendance vis-à-vis du reste du monde est grande, même si sa part dans le commerce international n’est que de 3 %. Paradoxalement, parce que ce continent a moins bénéficié que d’autres des bienfaits de la mondialisation, il pourrait profiter de ce choc systémique planétaire pour construire une voie endogène de développement, loin de la triple extraversion qui la caractérise à l’heure actuelle, à savoir réelle, monétaire et intellectuelle.

L’extraversion réelle

Les théories traditionnelles du commerce international, d’inspiration libérale, s’appuient sur les dotations factorielles naturelles pour spécifier les spécialisations des États et des continents dans les échanges internationaux. Si on s’en tient à la théorie de Heckscher-Ohlin-Samuelson (HOS), l’Afrique devrait se spécialiser dans les produits à forte intensité de main d’œuvre et dans l’exportation de matières premières, toutes choses dont elle dispose en abondance. Cela tombe bien, car les pays industrialisés et les pays émergents ont besoin des matières premières africaines pour faire tourner leurs usines et approvisionner leurs consommateurs de biens et services transformés à partir justement des matières premières africaines. Que l’Afrique fasse l’effort de se doter de capital idoine pour transformer sur place ses matières premières et créer ainsi de la valeur ajoutée et des emplois, ne rentre absolument pas dans ce référentiel néolibéral fondé sur les avantages comparatifs « naturels ». Pourtant, et la crise actuelle le montre à l’envi, la transformation sur place des matières premières et la remontée dans les chaînes de valeur nationales, régionales et internationales, constituent la voie à suivre par l’Afrique pour sortir d’une insertion primaire suicidaire au sein du commerce international. La pandémie du Covid-19 met en lumière l’extrême vulnérabilité d’un système mondial qui sous-traite à la Chine la production planétaire des biens et services.

L’extraversion monétaire

La réponse monétaire à la pandémie du Covid-19 est sans précédent, d’une ampleur inédite : plus de 5 000 milliards de dollars et/ou d’euros de création monétaire par les principales banques centrales afin d’éviter l’effondrement de la demande mondiale. Cette réponse finit de confirmer le tournant hétérodoxe pris par les banques centrales du monde développé à partir de 2008, afin de faire face à la crise des subprimes. Les politiques monétaires dites « non conventionnelles », illustrées par des injections massives de liquidités dans l’économie mondiale (Quantitative Easing), ont donné lieu à des métaphores très explicites comme la « monnaie-hélicoptère » ou « le drone monétaire ».

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En revanche, dans les pays africains de la zone franc, l’orthodoxie a prévalu, rendant de fait inopérante l’arme monétaire. Sur longue période, le maintien d’une déflation macroéconomique censée répondre à l’illusion de la victoire finale contre l’inflation, a fait perdre de précieux points de croissance (0,8 % par an selon nos calculs) aux économies de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), réduisant ainsi le PIB potentiel de l’Union. En outre, la lutte contre l’inflation à court terme a ceci de pervers qu’elle peut engendrer de l’inflation à moyen terme : en effet, lorsque le crédit n’est pas disponible, les entreprises ne peuvent pas investir et accroître leurs capacités de production et donc d’offre endogène de biens et services. À moyen terme, la demande additionnelle, surtout lorsqu’elle est alimentée par les flux d’aide publique au développement et les transferts des migrants, a tendance à provoquer une hausse du niveau général des prix du fait de la faiblesse structurelle de l’offre intérieure. Pour éviter cela, les États ont recours à l’importation massive de biens et services, qui crée de son côté un déficit budgétaire récurrent et celui du solde courant de la balance des paiements, réduisant les marges de manœuvre en période de crise. La politique monétaire en zone franc est doublement suicidaire, dans la mesure où elle conduit au rationnement du financement de l’émergence et en même temps grève la compétitivité-prix des économies du fait du rattachement du franc CFA à l’éco. Il a fallu la pandémie du Covid-19 pour que les banques centrales de la zone franc se décident à suivre timidement leurs consœurs des pays développés, mais elles pourraient à l’évidence faire beaucoup plus et beaucoup mieux.

L’extraversion intellectuelle

Les extraversions réelle et monétaire trouvent leur origine dans l’extraversion intellectuelle de l’Afrique, c’est-à-dire la copie systématique sans contextualisation aucune, des paradigmes (façons dominantes de penser) qui ont cours dans les pays développés à économie de marché, souvent anciennement colonisateurs. L’élite intellectuelle africaine a été, pour l’essentiel, formée dans les universités occidentales et doit une grande part de sa légitimité et ses positions de pouvoir à la proximité de ses discours, plus que de ses pratiques d’ailleurs, avec celle de ses collègues occidentaux.

La servitude volontaire des élites africaines revêt donc une double dimension, d’une part, la certitude de produire un discours intelligible et immédiatement recevable par l’élite occidentale et, d’autre part, la paresse intellectuelle illustrée par l’importation de doctrines conçues en d’autres temps en d’autres lieux. La crise actuelle montre les limites de cette stratégie et dévoile à la face du monde l’extrême vulnérabilité d’une Afrique qui, conformément aux préceptes du consensus de Washington et de ses avatars, a choisi de privilégier (avec des nuances au regard de sa dette extérieure abyssale) la recherche d’équilibres macroéconomiques de court terme au détriment de la construction d’un véritable État social, avec une fourniture suffisante et adéquate des services de santé, d’eau, d’électricité, d’éducation, toutes choses indispensables pour lutter efficacement contre la pandémie du Covid-19.

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Au-delà des réponses immédiates d’ampleur inédite face à cette crise que le FMI a qualifié de « grand confinement », les forces vives africaines devraient s’atteler à construire un paradigme endogène de développement, fondé sur la mise en évidence de nos « communs », la promotion d’une économie de proximité illustrée par les circuits courts particulièrement adaptés à son agriculture familiale, d’une économie sobre en carbone afin de ne pas alimenter le réchauffement climatique dont il n’est absolument pas responsable, et enfin d’une économie solidaire fondée sur la réduction des inégalités illustrée par l’exigence d’une redistribution équitable des fruits de la croissance. Comme l’a proclamé Sylvanus Olympio le père de l’indépendance du Togo, reprenant le verset d’Isaïe dans la Bible, « la nuit est longue, mais le jour vient ». Ce fut le 27 avril 1960, date de l’indépendance du Togo.

Avec RFI